TGV-001 : Un design innovant, Jacques Cooper (3e partie)
MAJ le 11 février 2021
Après avoir découvert dans le précédent chapitre, de cette série d’articles consacrée au TGV-001, la genèse du projet né dans les arcannes de la SNCF, son concurrent l’Aérotrain, les composantes de ce nouveau matériel ferroviaire, les sociétés intervenantes dont Alsthom et la naissance de la première motrice sur le site belfortain, il est important dans un deuxième temps de mettre à l’honneur son designer Jacques Cooper qui doit être légitimement associé à cette réussite !
Jacques Cooper, à la une de La Vie du rail du 17 janvier 1991
NA : A la fin de l’article, un lien permet de revenir au sommaire de l’article chapeau où sont recensés les différents chapitres de cette aventure industrielle.
Roger Tallon
On lit dans certaines revues que le design de la rame TGV-001 serait du au styliste industriel Roger Tallon (1929-2011). Il est vrai, qu’il a débuté tout début des années 1970, une longue collaboration avec la SNCF et Alsthom (train Corail, TGV Atlantique, Eurostar, TGV Duplex…).
Cette photo des Arts décoratifs est souvent légendée : Roger Tallon et les maquettes du ‘’TGV 001’’, ‘’TGV Duplex’’, ’’TGV Atlantique’’; laissant supposer cette affirmation !
Toutefois, Roger Tallon a bien réalisé un projet en 1967 pour le TGV-001 à la demande d’Alsthom mais il fut réfuté, voir snobé par la SNCF car… trop novateur ! N’avait-il pas (osé) nommé son projet TGV 345, la vitesse à atteindre, vue par le designer !
Projet Tallon 1967 (photo Livre Cooper)
Son projet fut longtemps visible dans le hall du siège Alsthom, rue Kléber !
Si Roger Tallon fut mis sur une voie de garage dans un premier temps, il va revenir sur la voie du succès quelques années plus tard…
Jacques Cooper
En réalité, la paternité du design du TGV-001 en revient à un autre styliste français, Jacques Cooper, né le 23 janvier 1931 à Chantilly. Dès son enfance, il a une propension à créer ses propres jouets; les ressources de la famille étant limitées.
Carte postale Souvenir de Chantilly
Formé à l’Ecole Boulle* de 1947 à 1951, il fit son apprentissage comme menuisier et acquit une spécialité d’ébéniste de sièges.
*Ecole Boulle : Cet établissement public créé en 1886 à Paris, est bicéphale avec une école des arts appliqués et avec un lycée des métiers d’arts, du design et des techniques industrielles. Son nom rend hommage à l’ébéniste talentueux de Louis XIV, André-Charles Boulle (1642-1732)
Carte postale de l’Ecole Boule à Paris
Dans la foulée, il fit son devoir national (1951-1953).
Ses premiers coups de crayon dans le design
Après son service militaire, il débuta sa carrière en juin 1953 à la CAEI (Compagnie Américaine d’Esthétique Industrielle) qui vient d’être créée par Raymond Loewy*.
*Raymond Loewy (1893-1986) fut un designer industriel et graphiste qui a œuvré dans de nombreux projets de grandes compagnies américaines (Westinghouse, logo Shell, objets Coca cola, automobiles Studebaker…). En 1953, il fonde sa propre agence à Paris. Il est l’auteur des logos des biscuits LU, New Man, des enseignes Coop, Monoprix…
Extrait d’une enveloppe US émise en l’honneur de Raymond Loewy
Il eut en charge de la décoration de l’Air Force One, du Concorde, de la station Skylab.
Délaissant les sièges, Jacques Cooper fut affecté à l’aménagement de grands magasins (BHV, Monoprix…), implantations, rayonnages, têtes de gondole... mais aussi la rénovation des façades de magasins (vitrines et enseignes).
Carte postale du BHV (Bazar de l’Hôtel de Ville) à Paris
Une autre ligne avec le design industriel
Il va aussi œuvrer dans le design de produits industriels, pompe à essence pour le pétrolier BP, poste de soudure pour la CEM, radiateur pour Auer, chauffe-eau pour Vesugaz, téléviseur pour Philset, enjoliveurs des 404 Peugeot, cabine de camion pour Berliet…).
Carte postale Peugeot 404
Sa compétence va franchir un pas important en 1956, avec ce projet majeur que fut le design du carénage d’un prototype d’hélicoptère, le Gouverneur qui est parfois attribué à Raymond Loewy.
Carte postale de l’Alouette 3*
*L’Alouette 3 a repris le design du prototype Le Gouverneur référencé SE 3331, fabriqué en un seul exemplaire (1er vol en mai 1957).
Une de ses dernières réalisations dans le cabinet de design de la CAEI fut celle du tracteur SFV 202 pour la SFV (Société Française à Vierzon).
Carte publicitaire du tracteur SFV 202
En novembre 1957, il entra au Centre Technique Renault qui avait été créé et implanté dès septembre 1956 à Rueil. Il faut dire que Jacques Cooper a une passion pour les carrosseries de voiture; parallèlement à son activité chez CAEI, il s’était pris au jeu de réaliser plusieurs projets…
Il va travailler sous la responsabilité de Robert Barthaud, directeur des études de carrosserie et de style. Mais il ne va pas pouvoir mettre ses idées en pratique, bridé par un management trop directif… Il participa toutefois aux études de plusieurs véhicules, R4, R8, Estafette…
Images Chocolat Jacques Modèles R4L et R8 (ma première voiture)
En septembre 1960, il rejoint la filiale Frigidaire de General Motors où il y restera jusqu’en 1966, avec une interruption entre mai 1963 et septembre 1964 où il travailla pour Arthur Martin Electroménager.
Carte postale Reproduction affiche Frigidaire
Le design dans l’électroménager, fut une nouvelle corde à l’arc de Jacques Cooper. De 1953 à 1970, il va poser sa marque sur de nombreux équipements, appareils de chauffage, tableaux de bord, habillage… pour plusieurs de ses employeurs successifs.
Extrait d’un livret d’une cuisinière (focus sur le tableau de commande)
Brissonneau & Lotz
Nouvelle ré orientation pour Jacques Cooper en octobre 1966, car il entra à la division automobile de la société Brissonneau et Lotz.
Extraire brochure Brissonneau & Lotz pour l’Opel GT
L’année précédente, sa sœur, travaillant dans l’entreprise, l’avait informé du projet de réaliser une variante de l’Opel Rekord en cabriolet. Il leur avait proposé un projet qui fut retenu pour construire un prototype.
Yves Brissonneau et Jacques Cooper avec un projet Renault (photo livre Cooper)
Il est vrai que cette branche du design avait toujours eu pour lui une forte attractivité et sa rencontre, en 1955, avec le célèbre carrossier italien Mario Boano* n’avait que confirmé cette attirance. Il fit même un stage en 1956 au sein de son usine.
*Mario Boano (1903-1989) carrossa pour Ferrari dont le 250 GT.
Carte postale Ferrari 250 GT
Chez Brissonneau & Lotz, il va travailler sur plusieurs projets pour les constructeurs automobiles comme Ford, BMW…
Peut après son intégration dans sa nouvelle société, il va être rejoint par un autre grand designer français, Paul Bracq* formé lui-aussi à l’Ecole Boulle.
*Paul Bracq : Né en 1933 à Bordeaux. Son diplôme obtenu en 1953, il prit la voie du design automobile après son service militaire. Il débuta chez Citroën, avant de rejoindre Mercédès (1957-1967), puis BMW (1970-1974) et enfin Peugeot (1974-1996).
Paul Bracq (photo Daily Turismo)
Jacques Cooper va travailler sur la Simca 1100, Opel CD… et effectua les dessins pour des dérivés de nombreuses voitures de sport, coupés et cabriolets, dont la Porsche Murène pour Heuliez en 1970.
Son esquisse et la Murène finale avec son designer
Cette réalisation qui ne fut pas industrialisée, apporta à Jacques Cooper une reconnaissance dans le design automobile. Il fut démarché par SIMCA, BMW et Pininfarina mais il préfèrera poursuivre sa collaboration avec Heuliez.
Il participa à d’autres projets automobiles mais aussi sur des autocars dont le design des sièges (retour aux sources).
Enfin la voie royale, le design ferroviaire
A partir de 1968, l’activité ferroviaire de sa société sollicita Jacques Cooper pour effectuer le redesign de la locomotive BB 63000.
Carte postale Locomotive BB 63717 à Mohon (Ardennes)
Dans le cadre du projet TGV, Jacques Bedel, directeur Alsthom, rencontra le designer et lui demanda s’il pouvait dessiner ‘’un train qui ne ressemble pas à un train’’ !
De plus, il voulait s’affranchir du cabinet Paul Arzens* qui était incontournable ou presque dans le design des locomotives depuis la fin des années 1940. Avec ce nouveau projet, une rupture devait être enclenchée.
Paul Arzens* : Le créateur français (1903-1990), designer d’automobiles (La Baleine, L’Oeuf…), devint dès 1938 un interlocuteur privilégié de la SNCF pour le design de ses locomotives. Il est, en autre, à l’origine des cabines de conduites avec faces arrondies accompagnées de vitre latérales et des faces avant ‘’cassées’’. Il travailla aussi pour la RATP.
Carte postale Loco BB9477, dite Arzens, à Saint-Jean Saint-Paul (Aveyron)
Enthousiaste à relever ce défi, Jacques Cooper va très rapidement réaliser des esquisses sans avoir toutes les données techniques.
Esquisses en 1968 (LVR 17 janvier 1991), avec ou sans pantographe
Le cahier des charges SNCF et Alsthom n’est pas sans contrainte pour le designer qui est confronté à une frange technique qu’on peut appeler ‘’conservatrice’’ et une autre plus ‘’révolutionnaire’’.
Le carénage
Cette rivalité de point de vue, put être observée par exemple, pour le carénage. La première sensibilité veut conserver les tampons quand la seconde n’en veut pas… Par contre, il devait être conçu pour éviter que si un véhicule automobile était percuté, il ne puisse remonter sur la motrice.
A noter que Jacques Cooper élabora en parallèle le nez des motrices du TGV et l’avant de la Murène. Ainsi, il reçut un pare-brise galbé à vision panoramique et un carénage permettant de s’inscrire dans un CX* optimisé.
*CX ou coefficient de trainée, est un coefficient utilisé pour quantifier la résistance d’un objet dans un fluide, l’air dans le cas du TGV.
Vue éclatée du carénage (Livre Cooper)
Seuls les phares escamotables ne furent pas retenus et le carénage du supporter des porte-drapeaux et porte signaux, contraintes imposées par la SNCF dans la spécification du cahier des charges.
Sur la vue ci-dessus (extrait d’une carte postale), on voit la trappe escamotable ‘’SNCF’’, et sur les grilles en-dessous des phares, les portes signaux côté intérieur et les porte drapeaux côté extérieur.
Un panneau amovible fut intégré pour gérer l’installation ou pas d’un attelage et permettre en son absence de raccorder un attelage de secours par barre de traction.
La ligne TGV
Dés le début de l’année 1969, le profil extérieur de la rame est définie ou presque, sa longueur étant arrêtée, le concept des bogies répartis… Jacques Cooper peut finaliser son projet (faces, baies, carénages de bas de caisse hors bogie…).
Maquette d’un TGV avec une robe bleue (photo Livre Cooper)
Son activité dans le design automobile va lui être une aide précieuse pour dessiner les lignes de ce nouveau matériel ferroviaire où la vitesse est une composante importante.
Cette version de 1970 proche de la robe finale (photo Livre Cooper)
C’est lui aussi qui eut la responsabilité de choisir la couleur orange parmi ces croquis où il proposait quatre couleurs différentes ! Il est vrai que cette couleur était tendance à cette période. Par contre le design intérieur fut un véritable chemin de croix car il dut reprendre sa copie près d’une quarantaine de fois… à la demande du Client !
Son esquisse finale du TGV-001 en 1971 (photo Livre Cooper)
Malgré que le design soit arrêté, Jacques Cooper travailla toujours sur d’autres esquisses comme la suivante, en 1971.
Esquisse d’un projet futuriste en 1971 (photo Livre Cooper)
Aménagement intérieur du TGV-001
Donc l’aménagement intérieur, lui aussi, vécut des belles passes d’armes entre Jacques Cooper et la SNCF.
Pour réaliser l’aménagement intérieur des voitures, une maquette à l’échelle 1 fut réalisée. Elle était formée d’un tronçon de la caisse réalisé par l’usine de Brissonneau & Lotz à Aytré (commune en limite de La Rochelle).
Maquette et réalité des sièges (photos Livre Cooper)
Le poste de conduite fut aussi dessiné par le designer.
Maquette et pupitre final (photos Livre Cooper)
Jacques Cooper prend la voie Alsthom
En 1970, Jacques Cooper rejoignit Alsthom à mi-temps suite à l’achat de l’activité ferroviaire de la Société Brissonneau et Lotz; quant à l’activité automobile, elle fut reprise par Renault. Il poursuit en parallèle son activité chez Heuliez.
Jacques Cooper à la planche (photo CultureBox)
En 1973, il quitta Heuliez pour augmenter sa disponibilité pour son activité pour Alsthom tout en conservant un espace de liberté pour des projets hors ferroviaires.
Si le design du TGV fut de grande importance pour Jacques Cooper, son activité chez Alsthom ne se résume pas à ce matériel.
Il va être aussi le designer de nombreux projets de locomotives pour l’exportation… dont les locos Chine Diesel et Corée Electrique fabriquées à Belfort en 1973.
Ses esquisses des locos Chine et Corée (LVR et Livre Cooper)
Il va aussi plancher sur les métros de Santiago (Chili) et du Caire (Egypte).
Le TGV-PSE
En 1974, la SNCF lança un concours de design pour un TGV de série, le futur TGV-PSE. Jacques Cooper s’associa avec le cabinet MBD Design pour ce projet. Il est à nouveau en concurrence avec Roger Tallon.
Les deux projets maquettés, présentés à la gare de Lyon, furent rejetés par la SNCF pour leur coût.
Une de ses esquisses en 1974 (LVR du 17 janvier 1991)
Mais en tant que salarié, Alsthom lui demanda d’en effectuer le design, à moindre coût, dans la continuité de ses travaux effectués pour le TGV-001.
Carte postale TGV-PSE sur le site Alsthom Belfort en 1979
NA : Je ne développe pas plus ce projet qui entra en service commercial le dimanche 27 septembre 1981. Ce sera peut-être pour un autre article…
Hormis le TGV-PSE, Jacques proposa de nombreux projets de TGV destinés à l’exportation (Etats-Unis, Golf Persique, Europe…).
Projet TGV pour les Etats-Unis en 1983 (photo Livre Cooper)
Par contre le design du TGV Atlantique fut réalisé par Roger Tallon.
Carte postale TGV Atlantique Site Alsthom Belfort en 1988 (édition CCTB)
Il mit fin à cette activité de design ferroviaire en 1987.
Légion d’honneur
Il obtint la Légion d’Honneur en 1983 pour sa contribution au projet du TGV. Ce fut Fernand Nouvion, son ami, qui se chargea du discours, lui qui fut le chef de la division des études de la traction électrique (DETE) de la SNCF.
Jacques Cooper devant le TGV-001 à Montparnasse en 1972 (Livre Cooper)
Bischheim
Invité par le Technicentre de Bischheim le 18 décembre 2015, à l’occasion de la sortie du livre sur le ‘’TGV Duplex Un voyage inédit’’, Jacques Cooper a offert une belle maquette du TGV-001 réalisée en 1968.
Jacques Cooper devant le TGV-PSE (Photo Laurent Gentilhomme L’Alsace)
NA : En fin de texte, un lien permet d'accéder à la partie suivante traitant du design.
Epilogue
Il me semblait important de présenter le designer Jacques Cooper qui contribua à la notoriété du TGV-001; il a façonné son image en lui donnant une identité spécifique dans le monde ferroviaire !
Jacques Cooper n’a pas recherché la notoriété préférant se consacrer à la création d’une multitude de projets dont les TGV-001 et TGV-PSE qui ne sont qu’une facette de son immense talent.
JM
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Références Web : Wikipédia, divers autres sites Web
Références textes : Livre Cooper, l’homme qui dessina le TGV (Livre Cooper, collection BF), Périodiques La Vie du Rail (LVR, collection Bibliothèque Deubel)
Livre Cooper, l’homme qui dessina le TGV (Loïc Fieux, Edition La Vie du Rail)
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