Le téléphone, historique de la numérotation

MAJ le 31 mars 2024

Dans le cadre du 25^e anniversaire du passage de la numérotation téléphonique à 10 chiffres, je complète l'article sur ce sujet par un troisième traitant de l'Historique de la numérotation !

Carte postale Téléphone à touches (coll. privée)

Il complète l'article initial sur cet anniversaire et l'article sur l'Histoire du téléphone et de son évolution.

NA : En fin de texte, un lien permet d'accéder aux deux articles.

La numérotation qui n'en était pas une…

En 1879, quand les premières lignes furent créées en France, les abonnés n'avaient pas de numéro ! Ils étaient identifiés par leur nom et prénom, profession et adresse. Cette information de possession d'une ligne téléphonique était portée sur les documents émis par les sociétés, un gage de sérieux et de modernité !

La société Clément Gény, sise à Paris, affiche cette présence
sur l'en-tête de ses imprimés (coll. privée)

Pour répondre aux besoins, il fut créé 13 centraux téléphoniques en divers lieux de Paris, identifié par une lettre

  - Bureau A au 27 avenue de l'Opéra
  - Bureau B au 4 rue de Logelbach, puis au 62 rue de Wagram
  - Bureau C au 204 boulevard de la Valette, puis au 2 quai de Seine
  - Bureau D au 10 place de la République
  - Bureau E aux 24-26 rue de Lyon
  -…

1896, Plan manuel numérique

Il faudra attendre presque 20 ans pour voir l'arrivée de la numérotation des abonnés, le 1er janvier 1896, à Paris. Elle remplaça la lettre identifiant le central et l'appel nominatif en place depuis 1879.

À chaque abonné, il lui fut attribué un numéro à 5 chiffres

  - 1er chiffre correspond au bureau de rattachement (ex lettre du bureau)
  - 2^e et 3^e chiffres correspondent au standard (99 lignes maxi)
  - 4^e et 5^e chiffres correspondent à l'abonné

Le numéro étant libellé de la sorte, avec les 3 premiers chiffres séparés par un tiret des deux derniers.

Exemple : 233-38

La Société des Carbures Métalliques située à Paris,
affiche son numéro (coll. privée)

NA : En réalité, depuis 1894, chaque abonné fut affecté d'un numéro par leur position dans chaque central téléphonique via le central appelé "Meuble téléphonique".

1912, Plan manuel alphanumérique

Un nouveau plan de numérotation, remplaçant celui de 1896, vit le jour via la circulaire n°35 du 28 octobre l912, pour permettre l'extension du réseau parisien et de sa banlieue.

La nouvelle numérotation comprenait

  - un indicatif littéral composé de 3 caractères, correspondant aux trois premières lettres du nom de baptême du bureau de rattachement, remplaçant le numéro précédemment employé

  - un numéro à 4 chiffres attribué à l'abonné

Carte postale mièvre, femme au téléphone (coll. privée)

En réalité, l'affichage des numéros sur les documents des abonnés, portait le nom complet du bureau de rattachement.

Paris possédait en 1912, 10 bureaux de rattachement, comprenant un ou plusieurs centraux téléphoniques, nommés ainsi

  - Gutenberg, au 46bis rue du Louvre, remplaçant l'indicatif "100"
  - Central, au 46bis rue du Louvre, remplaçant l'indicatif "200"
  - Louvre, au 46bis rue du Louvre, remplaçant l'indicatif "300"
  - Nord, au 22 rue de Chaudron, remplaçant l'indicatif "400"
  - Wagram, au 29, rue Desrenaudes, remplaçant l'indicatif "500"  
  - …

Carte postale Les téléphonistes (coll. privée)

Comme on peut le voir, le bureau Gutenberg fut le premier créé à Paris en 1893. Suite à l'augmentation des lignes, il fut complété de bureaux supplémentaires, en 1896 et 1906.

La société Prost & Cie, à Paris,
possédait le numéro "Nord 04-75" (coll. privée)

NA : Mais dès octobre 1909, les nouveaux abonnés parisiens furent dotés d'un numéro d'appel à 6 chiffres.

Par contre, les quatre caractères numériques concernant l'abonné, ne furent pas impactés par ce nouveau plan.

Du côté de Belfort…

Le service téléphonique fut créé le 16 juillet 1898 à Belfort, la numérotation fut appliquée plus tardivement.

Elle fut normalisée à 3 chiffres de la forme "1-23" comme on peut le constater sur la facture ci-dessous datée en 1914.

En-tête facture Droguerie Gustave Parant à Belfort, 1914, possédant le numéro de téléphone "3-18" avec la présence, rare, d'un petit dessin l'accompagnant (coll. BF)

La décennie suivante n'eut pas plus d'impact sur la forme de la numérotation téléphonique de la Cité du Lion !

En-tête facture Maison Bumsel Belfort, années 1920 (coll. BF)

Le commerce avait deux lignes téléphoniques, 2.39 et 2.64.

NA : Dans l'article consacré à l'histoire des sociétés en charge de développement de la téléphonie en France, un chapitre est consacré aux débuts du téléphone dans la Cité du Lion et du "département".

1928, Plan automatique

À partir de 1913, l'automatisation remplaça peu à peu les opératrices; la première ville opérationnelle fut Nice. La migration débutée en 1912 à Paris, fut finalisée en 1928.

Avec le passage de la téléphonie manuelle (opératrice) à la téléphonie automatique, il fut obligatoire de mettre en place une normalisation pour gérer le chiffre "0" qui, avec un tel système, est un chiffre significatif comme les autres !

Si pour une opératrice, le "10" correspond à un abonné bien précis, en automatique, le système attend 4 chiffres et non deux, donc ce numéro doit être codifié "00-10".

La société parisienne Le Lit Pardon avec le numéro "Gobelins 12-81" (coll. privée)

On parle d'un système de numérotage "Ouvert" en manuel, l'opératrice éliminant les zéros précédant le premier chiffre compris entre "1" et "9" et un système de numérotage "Fermé" en automatique où le nombre de caractères doit être identique quelque soit le numéro.

La circulaire de l'Exploitation Téléphonique n° 2430E du 18 octobre 1928, imposa la normalisation dans les Annuaires Officiels des Abonnés aux Réseaux Téléphoniques des Départements.

La société Ch. Lorilleux & Cie possédait le numéro "Danton 54-22" (coll. privée)

La numérotation passa à 7 caractères en province et à Paris en 1928, les 4 chiffres étaient précédés de 3 caractères alphabétiques* permettant d'accéder à l'un des 31 centraux téléphoniques couvrant la capitale; ils n'étaient que 17 en 1921 et 13 en 1912.

*Caractères alphabétiques : Chaque chiffre du cadran correspondant à 3 ou 2 lettres dans l'ordre presque alphabétique et sans le "Z"(2 : ABC, 3 CDE…, 0 : OQ), le "1" n'étant pas utilisé, réservé à l'usage interne. Il ne possédait pas la lettre "Z".

Il va sans dire mais en l'écrivant, c'est mieux, que les cadrans des téléphones étaient à 10 "ouvertures" de 1 à 0.

Cadran d'un téléphone type 1927 (coll. Wikipédia)

Cet ajout permettant à l'abonné d'effectuer directement le numéro de téléphone de son correspondant local.

Le premier central bénéficiant de l'automatique fut "Carnot" situé au 46 bis rue du Louvre. Les autres suivront, mais il faudra attendre 1938 pour que le dernier soit opérationnel, il s'agit de "Central" installé dans le bureau Gutenberg.

Avec le passage en automatique, les opératrices n'intervenaient plus que pour les appels en direction de la Province et vers l'étranger.

1946, Plan automatique national alphanumérique

Ce nouveau plan de numérotation fut lancé dès 1941, avec pour objectif d'harmoniser la numérotation en France car en fonction de la quantité d'abonnés liée aux populations des villes et des villages, principalement des villes, la forme de la numérotation était très différente pour différencier les numéros de téléphone, ainsi que dépendante suivant les types de réseaux utilisés, manuels ou automatiques !

Une numérotation nationale fut mise en place à partir de 1946, élaborée en deux parties :

 - un indicatif PQ (Préfixe Quantitatif), désignant le central, à un ou deux caractères pour la province, et trois caractères pour Paris

 - un code à quatre chiffres correspondant à l'utilisateur, le MCDU (Millier, Centaine, Dizaine, Unité)

En-tête de courrier de l'entreprise Pierrot spécialisée
dans la fabrication des brosses et balai, l'usine est à Dompaire (88)
et le Siège social à Paris (coll. privée)

                                               

Donc des numéros de téléphones structurés différemment,
Dompaire avec un numéro à 1 chiffre
et Paris avec "TURbigo 93-78" (coll. privée)

NA : À partir des années 1930, l'indicatif du central apparait avec les trois premières de son nom en lettre capitale et le reste en minuscule comme ci-dessus. Dans les années 1940, seules vont rester les trois premières lettres pour désigner le début du numéro.

Dans les villes possédant plus de 9999 lignes, elles possédaient par définition cet indicatif alphabétique, correspondant à un de ses centraux.

Concernant Belfort...

La ville possédait moins de 9999 lignes en 1948 au vu du document ci-dessous, le numéro n'étant pas composé que de chiffres.

En-tête courrier de la société Générale Automobile de L'Est
installée à Belfort & à Cernay, 1948 (coll. BF)

Même dans les années 1950, la quantité de lignes dans la Cité du Lion devait être toujours en-deçà de cette limite, ne nécessitant qu'un central pour couvrir les besoins des abonnés belfortains.

Bon de livraison Monoprix de Belfort, 1957 (coll. BF)

Même si sur ce document ci-dessus, le terme "Belfort" précède le numéro de téléphone peut faire penser à un indicatif, il est fort probable que sa présence est liée au fait que "Monoprix" soit une enseigne nationale présente à Belfort.

1953, Plan automatique national tout numérique

La numérotation alphanumérique passa en numérique en 1953, pour la Province; Paris conserva sa numérotation alphanumérique jusqu'en 1963.

Cette évolution facilitant la composition des numéros.

Carte de visite Taxi S. Estermann Belfort,
numéro à 6 chiffres (coll. BF)

En 1955, un indicatif départemental à deux chiffres fut créé pour permettre d'absorber l'extension des lignes; il pouvait couvrir plusieurs départements.

Pour le Territoire de Belfort, fut attribué le "84", utilisé aussi pour la Haute-Saône et le Jura.

Extrait des indicatifs départementaux (doc. Wikipédia)

Le plan de numérotation devint :

 - un numéro régional à 6 chiffres permettant de s'appeler dans une même zone régionale, les deux premiers étant le groupement de rattachement
 - un indicatif départemental, précédent le numéro régional, pour identifier le département

Carte de visite Entreprise B. Demeusy Belfort, numéro à 6 chiffres précédé des deux chiffres de l'indicatif entre parenthèses (coll. BF)

Paris conservant ses sept caractères, 3 lettres et 4 chiffres, complétés de l'indicatif départemental "1".

Donc tout abonné possédait un numéro à huit caractères (numérique ou alphanumérique).

Téléphone type RTT des années 1950 (coll. privée)

Pour les communications interdépartementales, il fut créé un indicatif interurbain à deux chiffres : le "15" ou le "16" suivant le département appelé.

Donc en réalité, les communications interdépartementales nécessitaient l'utilisation de 10 caractères !

Carte postale Central des PTT des années 1950 (coll. privée)

Pour l'étranger, l'indicatif "19" fut créé.

En 1974, toujours pour la nécessité de couvrir l'accroissement des ouvertures de lignes, il fallut créer de nouveaux indicatifs pour les départements autour de Paris (le "3" pour le Val-d’Oise et les Yvelines, le "6" pour l'Essonne et la Seine-et-Marne), le "7" pour la région Lyonnaise et le "8".

Au milieu des années 1980, le "15" fut abandonné pour être affecté au SAMU, rejoignant le "17" pour la Police et le "18" pour les Pompiers; seule le "16" fut conservé pour les liaisons interurbaines.

1985, Plan de numérotation à 8 chiffres

Pour permettre l'extension du réseau, un nouveau plan de numérotation était impératif. Pour y parvenir, plusieurs hypothèses furent identifiées.

Carte postale publicitaire Numéro à 8 chiffres (coll. privée)

Dès 1978, il fut décidé de passer à une numérotation à 8 chiffres.

Le nouveau plan s'appliqua à partir du 25 octobre 1985.

Annuaire 1985 avec sticker annonçant l'évolution (coll. AMB)

Il fut créé deux zones en France métropolitaine

 - l'Île de France dont les 7 chiffres furent complétés et précédés du "4"
 - le reste du territoire avec ces 8 chiffres, les 2 du code départemental + les 6 du numéro régional

Annuaire 1985 Document schématique pédagogique (coll. AMB)

Pour les appels entre Province et Ile de France

  Île de France => reste du territoire : indicatif "16" + les 8 chiffres
  Reste du territoire => Île de France : indicatif "161" + les 8 chiffres

Extrait annuaire 1985, code départemental entre parenthèses
(coll. AMB)

Extrait annuaire 1986, code départemental sans parenthèses
(coll. AMB)

Des modifications impactèrent aussi

  - les mobiles avec le passage à 8 chiffres commençant par "0" avec le 2^e chiffre différent suivant les prestataires,
  - les numéros verts normalisés à 8 chiffres commençant par "05",
  - le 19 vers l'étranger resta inchangé,
  - …

Carte de visite Restaurant Le Rösti à Belfort,
avec son numéro à 8 chiffres (coll. BF)

Pour réussir cette opération, la société nationale PTT Télécommunication investit dans une campagne publicitaire intitulée "La France se modernise".

Carte postale Numéro à 8 chiffres par Claude Revol (coll. privée)

Elle débuta le 12 mai 1985. Elle fut de grande ampleur avec des spots diffusés sur les quatre chaînes de télévision, en employant comme VRP, le journaliste Léon Zitrone.

Fiche Télé 7 jours Léon Zitrone (coll. privée)

Il fut secondé par une élève de 6^e de Trappes (78), Caroline qui fut sélectionnée parmi une quarantaine de candidates.

1996, Plan de numérotation à 10 chiffres

Au regard de l'explosion de la demande de lignes téléphoniques (abonnés, fax, mobiles…), environ un million par an, la DGPT* (Direction Générale des Postes et Télécommunications) décida de passer la numérotation téléphonique des abonnés de 8 à 10 chiffres.

*DGPT : Elle était une des directions du ministère des PTT.

Entre 1955 et 1995, le nombre d'abonnés avait augmenté d'une façon exponentielle, passant d'environ 2 millions à 32,4 millions !

Évolution du nombre d'abonnés (Le Pays, modifié JM, doc. AMB)

NA : En fin de texte, un lien permet d'accéder à l'article consacré à cette nouvelle numérotation.

Après 1996, pas de révolution mais des évolutions

Le dernier plan de numérotation date de 1996, preuve de sa puissance, à l'orée de 2022, il permet toujours d'absorber la croissance des lignes téléphoniques tirée par l'utilisation des Mobiles plus que celle des téléphones fixes qui ne résistent que par le besoin pour les box.

En l'absence de révolution, depuis 1996, les évolutions ne se sont pas arrêtées en chemin… mais ne sont pas moins que les précédentes !

Carte postale Un coup de téléphone par Barberousse (coll. privée)

Le 16 septembre 1997, le premier chiffre, le code opérateur, fut attribué par un tirage au sort aux opérateurs candidats à l'achat; cette possibilité fut peu exploitée, hormis par les professionnels ! Il est en voie d'être totalement abandonné.

En 2004, Orange développa son réseau en utilisant la technologie informatique "La voix sur IP" (VoIP pour Voice over IP) grâce aux réseaux internet, intranets ou publics, exploitant

  - les systèmes filaires tels les câbles, l'ADSL et la fibre optique
  - les ondes via les satellites, le Wi-Fi et les réseaux mobiles.

IP = Internet Protocol (Protocole sur Internet)

Quelques sacrés numéros !

Dans la mémoire collective, certains numéros sont restés comme des marqueurs générationnels de cette invention !

Le 22 à Asnières

Ce numéro devint une star grâce à Fernand Raynaud (1926-1973) qui en fit un sketch en 1955.

Vinyle 45 tours Fernand Raynaud "Le 22 à Asnières" (coll. privée)

Ce numéro a-t-il existé ?

La réponse est affirmative, il permettait de joindre… un boulanger, Monsieur Edouard Merlet, installé au 20 rue Bapst de cette ville ! Cette publicité lui a-t-elle été profitable ou l'a-t-elle mis dans le pétrin ?

Depuis ce sketch, beaucoup d'eau a coulé à Asnières, car traversée par la Seine…

Le Balzac 00 01

Ce numéro permettait de joindre l'agence publicitaire de Jean Mineur bien connu des cinéphiles, avec son "Petit mineur" créé en 1951, par Albert Champeaux.

Carte postale Timbre Le petit Mineur (coll. JM)

Sans oublier la cible recevant le pic transformant le "1000" en "0001" ! Il est toujours présent à l'affiche…

Épilogue

Depuis 1879, la téléphonie a eu une ligne de conduite qui a permis de répondre au besoin exprimé, ou suscité, de la population française, grâce à des plans successifs de numérotation totalement en adéquation avec les besoins, voire en les anticipant, pour preuve celui de 1996 toujours d'actualité !

JM

Lien pour accéder aux articles cités

Le numéro de téléphone à 10 chiffres a 25 ans : Cliquer ici

Téléphone, son historique et son évolution : Cliquer ici

Sommaire des articles sur le téléphone : Cliquer ici

Référence internet : Wikipédia, Monsite-orange, Orange, Divers autres sites…

Référence livre : Annuaires 1898, 1900, 1912... (Archives Départementales du 90, AD90), Annuaires 1985 et 1986 (Archives municipales Belfort, AMB), Livre Téléphone 130 ans d'innovations (doc. Bibliothèque Deubel Belfort)

Infos pratiques  

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