La Grande Taverne à Belfort
MAJ le 24 septembre 2024
Si la Cité du Lion s’extrait, à la fin du 19e siècle, de ses fortifications pour s’installer hors de ses murs oppressifs, la toute fin de celui-ci et le début du 20e siècle virent la construction de beaux immeubles, souvent du style haussmannien mais pas toujours… tel celui de la Grande Taverne.
/image%2F0405742%2F20240924%2Fob_1a0338_grande-taverne-2018-photo-jm.jpg)
Le bâtiment actuel (photo JM, 2018)
Cet article débute une nouvelle série sur les grandes (ou petites) enseignes emblématiques belfortaines…
La construction du bâtiment de la Grande Taverne
Venant de la place Corbis, l’immeuble, implanté au 35 faubourg de France, est situé à peu près au centre de la rue, à gauche, dans l’angle interne formé par la rue en direction de la gare.
Plan montrant l’implantation de la Grande Taverne (réalisation BF)
La construction, en grès rose, possède une architecture un tantinet féodale, elle comprend une tour à la décoration alsacienne en partie supérieure avec sa toiture à quatre pans et un corps du bâtiment en grès rose possédant, en partie supérieure, une belle terrasse.
/image%2F0405742%2F20240924%2Fob_64cbf8_cpa-belfort-grande-taverne-1908-09-bf.jpg)
Carte postale Belfort La Grande Taverne, vue Ouest -> Est (coll. BF)
NA : Cette vue a été prise peu de temps après l’ouverture de l’établissement.
L’immeuble destiné à la Grande Taverne fut réalisé sur le terrain sis au 33-35 du faubourg de France, possédé précédemment par Nephtalie Levy, acquis par la Société Anonyme des Établissement Danjean, créée le 19 décembre 1907, dont les propriétaires, deux limonadiers, Henri Schill et Alexandre Portier, possédaient par ailleurs la Brasserie Danjean, installée au 6, du faubourg de Montbéliard.
Initialement sur la parcelle de terrain, un bâtiment existait depuis 1876. Il fut arasé pour permettre d’ériger ce nouvel immeuble en 1908.
Sur la vue suivante, à droite, devant la façade du bâtiment qui accueillait l’Hôtel de l’Europe, le futur immeuble n’est pas construit. On voit une cour où se trouvait un bâtiment en retrait.
Carte postale Le faubourg de France, Hôtel de l’Europe (coll. JM)
*Hôtel de l’Europe : Il quitera ce lieux au début des années 20 pour se repositionner dans un immeuble, mieux situé, devant la gare. Cet immeuble accueillit une grande enseigne belfortaine en 1948, la maison Jean L’Hôte. Aujourd’hui, la cellule commerciale sud est occupée par l’enseigne de vêtements masculins Jules, depuis 2005.
Dans son nouvel emplacement, l’Hôtel de l’Europe y resta jusqu’en 1965 où il ferma définitivement ses chambres. Le bâtiment libéré fut reconditionné en appartements.
/image%2F0405742%2F20240924%2Fob_7340db_belfort-cpsm-hotel-de-l-europe.jpg)
Carte postale L’Hôtel de l’Europe, avenue Wilson, en 1950 (coll. JM)
En cet immeuble, dans la nuit du 7 au 8 mars 1989, un drame eut lieu suite à un incendie volontaire, entraînant 15 morts. Une plaque commémorative fut inaugurée en 2006 et depuis 8 mars 2015, les détecteurs d’incendie sont obligatoires en France.
Deux architectes
L’immeuble destiné à la Grande Taverne fut construit à partir des plans de deux architectes, le belfortain d’adoption Eugène Lux et le colmarien Gustave Umbdenstock.
Les noms des 2 architectes sont gravés sur le mur de l’immeuble
(photo BF)
Eugène Lux
Il est né à Mulhouse, le 20 janvier 1864, sa famille voulant rester française, vint à Belfort dès 1872. Après ses études au lycée, il entra à la SACM (Société Alsacienne de Construction Mécanique) en 1881, puis il fut engagé par le service de la direction de l’artillerie, il travailla aussi au sein du génie de la place comme dessinateur.
Il réalisa de nombreuses peintures.
Peinture La Savoureuse à l’entrée nord de la ville (Eugène Lux 1884)
En 1892, le maire de la Cité du Lion, Adolphe Metz-Juteau, lui proposa de remplacer l’architecte municipal sur le départ. Il va être à l’œuvre sur de nombreux projets de la ville dont l’adduction en eau, la démolition de la Porte de France, l’aménagement des nouveaux quartiers, le marché Fréry…
Carte postale Halle du marché Fréry à Belfort en cours de construction (JM)
En 1907, il créa son propre bureau d’architecte et en 1910, il prit le poste d’architecte du département où il a conçu de nombreux monuments aux morts.
Il décéda le 10 juillet 1952, dans sa ville d’accueil.
Gustave Umbdenstock
Il est né à Colmar, le 24 décembre 1866. Diplômé des Beaux-arts en 1893, il obtint un Prix de Rome en 1895. En 1904, il participa à la réalisation du Pavillon de la France à l’Exposition Internationale de Saint-Louis. Il conçut le Grand Hôtel Lalloz-Martzloff au Ballon d'Alsace en 1907.
Carte postale Ballon d’Alsace Le Grand Hôtel Lalloz-Martzloff
(coll. privée)
Carte postale Senlis Nouvelle gare, la précédente fut incendiée par les allemands ! (coll. privée)
Il réalisa aussi des architectures scolaires (lycée Pasteur de Neuilly…), des ouvrages d’art (pont du Carrousel à Paris…), des monuments religieux (chapelle Pasteur à Colmar) et commémoratifs (monument aux morts de Neuilly…).
Il décéda le 16 novembre 1940, à Paris.
La construction de l’immeuble
La construction qui sortit de terre en 1908, imaginée par les deux architectes, était un tantinet soit peu iconoclaste au regard des constructions du secteur !
Carte postale Belfort Le faubourg de France, vue Ouest -> Est
(coll. JM)
Les personnes qui circulent dans le faubourg de France n’ont pas toujours l’information et le recul physique nécessaire pour apprécier son style…
NA : Comme pour le circuit des Lions, la Maison du tourisme pourrait développer un circuit des immeubles remarquables de la ville…
Entre les 2 bâtiments, une petite ruelle rejoint la rue des Capucins au sud (voir le plan ci-dessus).
Les équipements de la Grande Taverne
Pour le bon fonctionnement de leur établissement, les propriétaires n’avaient pas lésiné sur les investissements nécessaires pour équiper les 500 m² dévolus à cette nouvelle brasserie.
Les salles
L’établissement possédait deux salles, une salle d’entrée et une salle de spectacle dans le prolongement de la première. Elles n’étaient séparées que par les piliers de la structure du bâtiment.
Carte postale Salle d’entrée de la Grande Taverne (coll. BF)
La salle d’entrée de la brasserie ou salle d’accueil des clients, de belles dimensions, était destinée aux consommateurs voulant seulement s’offrir une boisson et tailler ‘’une bavette’’ plutôt que d’en consommer…
Carte postale Une autre vue de la salle d’entrée (coll. JM)
Elle donnait accès à la grande salle ou salle de spectacle, qui permettait d’accueillir environ 500 personnes et possédait une scène destinée à recevoir des attractions.
Carte postale La grande salle d’entrée avec sa scène (coll. JM)
Il y a de fortes probabilités qu’elle recevait la clientèle voulant déjeuner ou souper. Les menus proposaient le pot au feu, la choucroute, la friture… et bien d’autres mets.
Elle venait en concurrence avec le déjeuner sur l’herbe du dimanche.
Carte postale La grande salle de la Grande Taverne (coll. JM)
Au centre de la salle, le plafond possédait apparemment quatre puits de lumières naturelles, que l'on peut voir via des cartes postales. Une vue aérienne de 1924 nous apporte la confirmation de cette solution technique appliquée pour exploiter au maximum, la lumière du jour.
La scène
En extrémité de la grande salle, une belle scène pouvait accueillir orchestres, spectacles…
La grande salle avec ses équipements permettait de présenter de nombreux spectacles pour le plus grand plaisir des clients de la Grande Taverne.
Carte postale La grande salle avec sa scène (coll. JM)
et l’écran pour le cinématographe.
Carte postale La scène avec son décor en fond (coll. BF)
Pour occulter la scène, elle disposait d’un rideau type Aubusson au décor alsacien où apparaissait la ‘’tour’’ de l’immeuble de la Grande Taverne.
Carte postale Le rideau pouvant occulter la scène (coll. JM)
En haut du rideau, était représentée l’armoirie de Belfort.
Le cinématographe
Comme précisé précédemment, la Grande Taverne était équipé pour le cinématographe, dans sa grande salle, elle possédait une cabine de projection. Un pianiste était chargé d’accompagner la projection.
Sur la vue à droite, un extrait agrandi de la carte postale contigüe, on voit la cabine de projection (coll. BF)
Cette activité perdura pendant des décennies, elle deviendra même l’activité principale d’une future enseigne en 1952.
La cuisine
La brasserie assurant les repas, une cuisine moderne et bien équipée en installations appropriées, tant pour le chaud que pour le froid avec son équipement frigorifique, permettait aux cuisiniers d’effectuer les mets commandés par les consommateurs.
Autonomie de l’établissement
La Grande Taverne s’était affranchie de l’électricité collective en installant une dynamo de 120 chevaux pour couvrir ses besoins.
/image%2F0405742%2F20240924%2Fob_6e5592_cpa-belfort-grande-taverne-salle-machi.jpg)
Carte postale La dynamo équipant la Grande Taverne (coll. BF)
Cette dynamo était implantée dans une salle des machines qui jouxtait la grande salle. Une cloison vitrée permettait aux clients de voir cet équipement qui était pour certains un spectacle en France.
La fée électricité, au début du 20e siècle étonnait beaucoup de personnes et beaucoup de personnes n’avaient pas accès à l’électricité !
Un spectacle, je vous dis…
L’inauguration de la Grande Taverne
La Grande Taverne fut inaugurée le 10 juillet 1908.
/image%2F0405742%2F20240927%2Fob_282d4e_1908-07-09-grande-taverne-inauguration.jpg)
Annonce parue dans le journal La Frontière (doc. AMB)
NA : Il existe un article spécifique concernant l’inauguration de La Grande Taverne. En fin de texte, un lien permet d'accéder à l'article consacré à cet évènement.
Quelques spectacles…
Les propriétaires de ce nouvel et grand établissement créé dans le faubourg de France, avaient parié sur l’attrait apporté par le cinématographe et la présentation régulière de spectacles.
Le premier spectacle proposé post inauguration, se déroula du vendredi 24 au dimanche 26 juillet. Au programme pour ces trois jours, jonglage, comédie, musique et projections de vues…
/image%2F0405742%2F20240924%2Fob_b6bc50_1908-07-23-grande-taverne-programme-23.jpg)
Le programme annoncé par le journal La Frontière (doc. AD90)
Toutes les deux semaines, un nouveau programme était proposé à découvrir sur la scène de la Grande Taverne. La montée en puissance était crescendo.
/image%2F0405742%2F20240924%2Fob_f17646_1908-08-02-grande-taverne-pub-la-front.jpg)
Programme du 31 juillet, 1er et 2 août 1908 (La Frontière, AD90)
Concours musical 1908
En avant-première du Concours musical 1908, la Grande Taverne reçut le vendredi 13 août une des sociétés participantes, la Chorale des Enfants d’Algérie avec leur président J. G. Pérez et leur directeur L. Fèvre, pour une soirée exceptionnelle.
Au programme, la société interpréta 17 morceaux extraits du patrimoine musical dont l’ouverture de Guillaume Tell, Rigoletto, la Traviata, Romance des fleurs (Faust)…
Carte postale Souvenir du Concours musical (coll. JM)
Pour profiter de ce spectacle musical, les mélomanes devaient s’acquitter d’un droit d’entrée s’élevant à 0,50 franc.
NA : A la fin du texte, un lien permet d’accéder à l’article consacré au Concours musical 1908 qui s’est déroulé à Belfort les 15 et 16 août.
En 1912, un spectacle immortalisé
Il existe une série de 10 cartes postales, immortalisée par l'éditeur Henri Cardot, représentant des scénettes d’une pièce appelée La Revue de la Grande Taverne mise en scène par Polian en 1912, elle parodie des évènements ou situations belfortains.
Carte postale Tableau présentant l’annuaire 1912 de la Région de Belfort édité par l’imprimeur J.B. Schmitt (coll. JM)
Carte postale La visite du musée belfortain (coll. JM)
Carte postale L’auteur Polian joue l’aviateur Védrine dans son avion, se déplaçant au-dessus des spectateurs (coll. JM)
Au fil du temps, d’autres catégories de spectacles vont être présentées comme des galas de boxe ou d’escrime, du music-hall…
Une pièce pour jouer ?
L’établissement avait même édité des pièces de monnaie, étaient-elles destinées pour jouer ou pour une autre utilisation ?
/image%2F0405742%2F20240924%2Fob_c7e5f6_piece-5c-la-grande-taverne-2.jpg)
La pièce de 5 centimes (coll. privée)
/image%2F0405742%2F20240925%2Fob_4e7653_belfortaine-la-grande-taverne-piece-1.jpg)
Une pièce de 15 centimes (coll. privée)
/image%2F0405742%2F20240925%2Fob_7c6664_belfortaine-la-grande-taverne-piece-5.jpg)
Une pièce de 50 centimes (coll. privée)
L’évolution commerciale de la Grande Taverne
Un premier tournant dans son évolution, fut son achat par la SNCE (Société Nouvelle des Cinémas de l’Est) le 3 août 1926, installée à Mulhouse, de l'immeuble est du fond à la SA Grande Taverne. Avec ce changement de propriétaire, le 7e art va devenir la principale attraction délivrée pour le public. Il est vrai qu’une évolution significative avec l’arrivée du cinéma parlant, révolutionna ce spectacle.
NA : Le premier film parlant français, une histoire corse, fut Les 3 Masques d’André Dugon, sorti en 1929.
/image%2F0405742%2F20240924%2Fob_0fc284_affiche-film-les-3-masques-1929.jpg)
Affiche du film Les 3 Masques (coll. privée)
La nouvelle direction donna une grande place à la projection sur grand écran et délaissa les autres spectacles…
1927, extension rue des Capucins
En 1927, une extension de la Grande Taverne sur la rue des Capucins fut confiée à l’architecte Eugène Lux. Le permis de travaux fut accordé le 8 juin. Elle permettait aussi de mieux desservir l’approvisionnement de l’établissement.
Plan de la façade modifiée, côté est, dans la rue des Capucins
(coll. AMB)
1929, Dancing Hoffmann
À partir du 1er octobre 1929, la direction de l'établissement fut sous la responsabilité de Joseph Hoffmann dit "Le Chinois".
NA : Un article est consacré à cette nouveauté. En fin de texte, un lien permet d'accéder à l'article qui lui est consacré.
1946, une nouvelle devanture
En 1946, la SNCE demanda un nouveau permis de travaux à la mairie, accordé en juillet, pour créer une devanture en façade avec un accès à la brasserie par la rue des Capucins.
Plan de la façade modifiée, côté ouest, dans la rue des Capucins
(coll. AMB)
1952, une réorientation confirmée de l’établissement
En 1952, la brasserie va subir une mutation car la Société Nouvelle des Cinémas de l’Est demanda un permis de travaux à la mairie, accordé le 27 juin, pour transformer la partie de droite de la Grande Taverne en une salle de cinéma. Pour affirmer sa mue, elle changea de nom en 1955 pour prendre l’enseigne, le REX.
La partie gauche du bâtiment fut loué à la Maison L’Hôte qui, après l’obtention du permis le 22 octobre, modifia les devantures et l’aménagea pour y présenter des éléments de décoration dans l’ameublement.
/image%2F0405742%2F20240924%2Fob_271822_photo-cinema-rex-35-1974-28-07c.jpg)
Les nouvelles enseignes (photo BF, 1974)
Sa façade est due à l’architecte Georges Peynet (1904-1979), spécialiste de ce type d’activité.
Avec cette réorientation, la Grande Taverne tirait le rideau après avoir été pendant plus de quarante ans l’adresse du faubourg de France.
1986, le cinéma tire le rideau !
Dans les années 1980, le cinéma se conjugue au pluriel avec l’ouverture de complexes multisalles… La configuration du REX ne permit pas de prendre ce virage et il dut fermer ses portes en mars 1986.
En 1988, les travaux sont en cours (photo BF)
En 1988, s’installèrent deux commerces d’habillement (Camaïeu et Devred) dans les cellules inférieures donnant sur le faubourg de France.
Les nouvelles enseignes (photo JM)
En partie arrière, un centre de remise en forme qui eut du mal à la conserver... au regard du changement successif d’enseignes, Gymnasium puis 24H fitness et enfin Full Time Fitness qui fermera définitivement les portes de cette activité dans le début des années 2000.
Épilogue
Si ni la brasserie de la Grande Taverne ni sa mue cinématographique n’ont résisté aux évolutions commerciales… l’immeuble qui l’a accueillit est toujours présent avec son architecture particulière.
Même si ce lieu n’a plus la vocation d'être un restaurant… à défaut d’être la table du Lion, il pourrait être le lieu où l’on vient prendre le café sur la seule terrasse élevée du secteur…
Carte postale La terrasse de la Grande Taverne (coll. JM)
Qui dit taverne dit jeu, je vous en propose un petit…
Avant de fermer la porte…
Dans cet article, je me suis amusé à disséminer les noms de dix restaurants actuels belfortains. L’avez-vous vu lors de votre lecture ? Sauriez-vous tous les retrouver ?
JM
Liens pour accéder aux articles cités
Concours musical 1908 : Cliquer ici
L’inauguration de La grande Taverne : Cliquer ici
Références Web : Wikipédia
Références livres : Journaux La Frontière et l’Alsace, Brochure Harmonie Alsthom Atlantique, Le Dictionnaire des personnalités du Territoire de Belfort (collections des Archives Municipales de Belfort), Magazine Vivre le Territoire (octobre 2008).
Infos pratiques
Vous pouvez laisser des commentaires sur cette présentation via le lien "Commentaires" en fin de l'article après la liste des tags.
En cliquant sur une photo ou un document, vous pouvez l’agrandir.
---o-----o-----o-----o-----o-----o-----o-----o-----o-----o---