Tour de France 1947, Belfort ville de passage
Le Tour de France 2017 s’est terminé sur la victoire du favori… on aurait espéré que Romain Bardet puisse se hisser sur la plus haute marche du podium mais il faillit… ne pas être sur la 3ème marche, à la seconde près ! Avec le maillot à pois de Warren Barguil et les victoires d’Arnaud Démare, Lilian Camejane, Waren Barguil et Romain Bardet dans l’escarcelle des tricolores, on aurait certainement signé des deux mains au départ du Tour, réjouissons nous de ces résultats sinon exceptionnels, tout au moins remarquable.
Lilian Calmejane, Romain Bardet, Arnaud Démare et Warren Barguil
Si on peut avoir un regret, il concerne notre régional Thibaut Pinot qui n’a pas digéré les kilomètres du Giro (4ème place et une étape).
Ayant commencé cette série des Tours de France qui ont emprunté les routes du Territoire de Belfort lors des millésimes terminant en ‘’7’’, après 1907, 1927 et 1937, c’est au tour du Tour 1947 que je vous propose de parcourir sans détour.
Petit historique du Tour entre 1938 de 1947
Après avoir parcouru la rétro sur les routes des Tours 1907, 1927, 1937 et avant d’aborder le Tour 1947, effectuons un petit tour entre ces deux derniers Tours… où seul deux Tours purent se dérouler par faute de la Seconde Guerre Mondiale.
Au cours de ces deux Tours, Belfort fut à nouveau ville d’étape (Départ et Arrivée) pour l’année 1938. Par contre, le Tour 1939 évita l’Est et le Nord en raison de la situation conflictuelle en Europe.
Carte postale Reprise de l’Affiche Tour de France 1938
Comme en 1937, la course par équipe nationale fut reconduite mais sans la participation des Touristes-routiers. Par contre, les contre-la-montre par équipes ne furent pas reconduits.
Le 16 août 1940, La Grande Boucle va perdre son créateur, Henri Desgrange (1). En son honneur, un mémorial fut édifié en 1949, réalisé par l’architecte Alexandre Audouze-Tabourin (1908-1997), au sommet du col du Galibier.
Cartes postales Monument Henri Desgrange
NA : Depuis 1947, un prix est attribué au premier coureur qui franchit le col du Galibier. En absence de passage, la récompense est reportée sur le col le plus haut du Tour (hors le Tourmalet).
En 1942, les allemands demandèrent l’organisation du Tour mais Jacques Goddet (2), le successeur d’Henri Desgrange, refusa de s’y plier. Cette réponse ne satisfaisant pas les occupants, le gouvernement de Vichy confia le projet au journal La France Socialiste qui était devenu collaborationniste. Jean Leuilliot, le chef des sports, organisa la course ‘’Circuit de France’’ du 28 septembre au 4 octobre 1942. L’épreuve se déroula sur six étapes avec la victoire du belge François Neuville. Une seule édition eut lieu.
Carte postale François Neuville (collection particulier)
En 1943, Jacques Goddet créa le Grand Prix du Tour de France qui s’appuyait sur les résultats de neufs courses classiques dont Paris-Roubaix, Paris-Tours, Grand Prix des Apes, Grand Prix d’Auvergne… Le prix revint au français Jo Goutorbe qui obtint le maillot jaune en récompense. L’année suivante, le déroulement des épreuves fut stoppé par débarquement du 6 juin 1944.
Carte postale Jo Goutorbe (collection particulier)
Depuis 1946, La Croix Rouge assurait le service médical sur le Tour.
Le Tour 1947
En 1947, le gouvernement confia l’organisation du Tour de France aux journaux Le Parisien Libéré et L’équipe. Suite à la disparition du journal L’Auto en 1944, Jacques Goddet fonda ce nouveau journal sportif en 1946. Vu son expérience, il fut nommé directeur de la course. Il a comme adjoint, Félix Lévitan, le chef des sports au Parisien Libéré.
En-tête du journal L’Equipe en 1947
Donc après une interruption de sept années, le Tour revint en 1947. Cette 33ème édition se déroula du 25 juin au 20 juillet sur un format de 21 étapes sur un parcours de 4642 kilomètres.
Carte du Tour 1947 (réalisation BF)
Pour cette édition de retour, la course était réservée d’une part aux équipes nationales avec la Belgique, la France, l’Italie, une équipe mixte Suisse-Luxembourg et les Pays-Bas (dont des étrangers vivant en France), et d’autres part des équipes régionales françaises avec l’Ile-de-France, l’Ouest, le Nord-Est, le Centre Sud-Ouest et le Sud-Est. Chaque équipe était composée de dix coureurs.
Ces équipes étaient renforcées d’un ancien coureur du Tour de France, en tant que directeur technique, pour apporter une expérience nécessaire à cette compétition; Arsène Alancourt, Marcel Bidot, XXX Cantou, Pierre Cloarec et Pierre Gallien.
Au sein de l’équipe du Nord-Est, on avait un franc-comtois, Jean de Gribaldy, dossard 78, professionnel depuis 1945 dans l’équipe Peugeot-Dunlop.
Carte postale Jean de Gribaldy (collection particulier)
En termes d’innovation technique, apparait le double plateau conçu par les italiens.
Le départ réel du Tour de France 1947 fut donné à Pierrefitte-sur-Seine, commune au nord de Paris, après que les coureurs aient déambulé dans les rues de la capitale.
Carte postale Pierrefitte-sur-Seine Rue de Paris
Belfort 1947, ville de passage
Pour cette édition, Belfort n’était pas ville étape mais ville… de passage lors de la 5ème étape entre Strasbourg et Besançon.
Avant d’arriver à Strasbourg, les organisateurs de La grande Boucle avaient apporté une nouveauté dans le parcours, il effectuait une boucle par la Belgique et le Luxembourg avec les étapes Lille-Bruxelles, Bruxelles-Luxembourg et Luxembourg-Strasbourg. Le terme d’Enfer de nord va se confirmer car après 3 étapes, les pavés et les côtes des Ardennes conjugués à une température saharienne dixit le commentateur TV, vont faire fondre le peloton de 27 coureurs; à classer au rayon des abandons.
Partis à 8h50, en retard sur l’horaire initial, de la place Kleber à Strasbourg le 29 juin, le maillot jaune René Vietto et les 70 autres coureurs du peloton amaigri traversèrent la plaine d’Alsace sans attaque sérieuse.
Carte postale Strasbourg Place Kleber
La chaleur toujours présente avait tendance à mettre le peloton en somnolence et freiner toute velléité d’échappée ! Il était 11h05 quand les coureurs abordèrent la ville de Colmar.
Carte postal Colmar Avenue de la République
La suite du parcours fut dans la continuité, car il fallut près d’une heure trente pour l’atteindre Mulhouse où était prévu un sprint intermédiaire qui donna quelques fourmis aux jambes de certains coureurs dont le suisse Biero Tarchini qui fut le plus explosif devant le français Edouard Muller ?
Chacun empochant au passage une prime.
Carte postale Mulhouse Rue de Colmar
Quand le peloton arriva à la limite du Haut-Rhin avant de pénétrer dans le Territoire de Belfort, à l’approche de Lachapelle-sous-Rougemont, il était toujours regroupé; les hostilités n’étaient toujours pas ouvertes !
Dessin Robert Henin (collection BF)
Aucun coureur ne s’arrêta au dancing de la Belle Escale même si certains coureurs auraient bien voulu se dégourdir les jambes avec une brune en buvant une blonde… le lieu n’avait pas été choisi ni comme lieu de repos ni comme lieu de ravitaillement, par les organisateurs !
Carte postale La Belle Escale sur la commune d’Eteimbes (Haut-Rhin)
Ville de passage, toutefois Belfort était chargée d’assurer le contrôle de ravitaillement. Le poste fut implanté devant la Brasserie des Halles, quai Vauban. L’organisation fut confiée au Vélo-Club Belfortain du président Emile Géhant, sous la responsabilité de Charles Chaussin correspondant du journal de l’Equipe.
Carte postale (extrait) Brasserie des Halles Belfort (collection JM)
Des tables étaient installées sur les trottoirs pour déposer les musettes dédiées aux coureurs, à charge des ravitailleurs d’effectuer la distribution nominative; elles étaient préparées suivant les goûts de chaque cycliste.
Charles Chaussin & Emile Géhant (collection BF)
Si le public était présent tout le long du parcours, une foule s’était amassée au contrôle de ravitaillement en espérant approcher un peu plus les coureurs…
L’animation de la caravane publicitaire fit patienter le temps de son passage, mais les spectateurs furent déçus du peu d’objets publicitaires distribués…
Carte de membre du VCB Vélo-Club Belfortain (collection BF)
Les coureurs du peloton échelonné sur environ deux cents mètres, se ravitaillèrent rapidement et poursuivirent leur route par le faubourg de Montbéliard. Après le passage des coureurs, deux musettes étaient restées sur les tables…
Carte postale Tracé du circuit dans Belfort (collection et tracé BF)
Au passage à Belfort, un des attardés de marque du peloton fut Louison Bobet qui avait un problème mécanique, cuvette cassée du moyeu avant de son vélo, roulait lentement en attendant son vélo de rechange. Dépanné, il rejoignit le peloton à Montbéliard.
Carte postale Louison Bobet (collection particulier)
Le dernier concurrent à passer avec 4 minutes de retard sur le gros du peloton, fut le coureur régional de l’équipe du Sud-est, Ahmed Chibane qui souffrait de son pied gauche suite à une chute. Réconforté, il repartit avec sa musette; il arriva dernier à Besançon avec 40 minutes de retard mais avec la fierté légitime d’avoir été au bout de l’étape, malgré sa souffrance, méritant bien le terme de ‘’forçat de la route’’.
Ahmed Chibane (photo Miroir Sprint)
Malgré le jour de repos, il ne put reprendre la route pour la 6ème étape avec le peloton. Il était le seul nord-africain sur ce Tour.
Il fallut arriver à la côte à l’entrée de Baume-les-Dames pour que le coureur de l’équipe de France Emile Idée eut l’idée de lancer enfin les hostilités suivi par le parisien Robert Bonnaventure, autre nom prédestiné, et peu après, le suisse Ferdinand Kübler accompagné de l’italien Vincenzo Rossello et du belge Florent Mathieu, formant ainsi l’échappée du jour.
Carte postale Baume-les-Dames
Le groupe perdit Emile Idée suite à une crevaison, mauvaise idée, et fonça sur la capitale comtoise.
L’arrivée à Besançon s’effectua pour la première fois sur la piste du vélodrome construit en 1936, pouvant accueillir 18000 spectateurs. Il devint le stade Léo Lagrange et perdit sa piste en 2000.
Carte postale Besançon La piste du vélodrome
Le suisse Ferdinand Kübler régla au sprint ses compagnons du jour. Après l’étape, Paris-Lille, il remportait ainsi sa 2ème victoire. L’italien prenant la 2ème place et le français la 3ème place, quant au lanceur de l’échappée, l’aventure ne lui donna que la 4ème place.
Fiche descriptive Ferdinand Kübler (Editions Rencontre)
René Vietto avec ses coéquipiers avaient préféré plutôt contrôler leurs adversaires potentiels au maillot jaune que les coureurs de l’échappée.
Carte postale René Vietto (collection particulier)
Le peloton n’était distancé qu’avec deux minutes de retard sur la ligne d’arrivée, devancé par deux unités dont le suisse Léo Amberg à une minute et cinq autres coureurs à 1’30 derrière le quatuor. Quant au régional de l’étape, Jean de Gribaldy, il arriva avec le peloton à la 41ème place.
Carte postale Le suisse Léo Amberg
Cette étape de transition longue de 248 kilomètres n’avait pas apporté de changement dans le top dix du classement général, les coureurs préférant économiser leurs forces en vue des difficultés, pas celle du lendemain, ils bénéficiaient d’une journée de repos mais des futures étapes alpines.
Classement général final à Paris
A la sortie de Besançon, le Tour comportait encore 16 étapes et donc des changements potentiels au classement général !
Si René Vietto porta le maillot jaune sur 15 étapes quasi consécutives, il le perdit à Lyon et le récupéra deux jours plus tard à Briançon. Il l’avait acquis dès la 2ème étape Lille-Bruxelles et il le perdit définitivement lors du contre-la-montre de la 19ème étape entre Vannes et Saint-Brieuc par Mur de Bretagne. Il fut distancé de presque 15 minutes par Jean Robic, le breton. Ce fut l’italien Pierre Brambilla (né en Suisse, il obtint la nationalité française en 1949) qui revêtit la tunique jaune. Il ne le porta que le temps des deux dernières étapes… tout au moins jusqu’à la ligne d’arrivée à Paris.
L’italien Pierre Brambilla (collection particulier)
Le vainqueur final fut Jean Robic, appartenant à l’équipe régionale de l’Ouest, qui s’était repositionné à la 3ème place à Saint-Brieuc avec 2’58 de retard sur l’italien. Il va conquérir le maillot jaune lors de la dernière étape entre Caen et Paris.
La gagne pour le Tour 1947 va se jouer dans la côte de Bonsecours, à la sortie de Rouen. Robic plaça une première attaque à laquelle Pierre Brambilla put répondre mais sur la contre-attaque d’Edouard Fachleitner de l’équipe de France, si Robic s’accrocha à cette locomotive type express, Vietto ne le put !
Carte postale Edouard Fachleitner (collection particulier)
Jean Robic prit à l’italien plus de 13 minutes et remporta le maillot jaune de la 34ème édition. A son compteur, le gain de trois étapes (4ème, 7ème et 15ème), mais sans avoir porté le maillot jaune sur une étape !
Il fut le 4ème coureur à gagner un Tour pour une première participation. Il faut remonter aux premières éditions du Tour pour trouver ses prédécesseurs avec Maurice Garin (1903), Henri Cornet (1904) et Henri Troussellier (1905).
Carte postale Jean Robic (collection particulier)
NA : Etant un poids plume (55 kg), Jean Robic aurait utilisé des bidons remplis de plomb à partir de 1953 pour descendre les cols afin de s’alourdir.
L’italien Pierre Brambilla dut se contenter de la 3ème place derrière le français Edouard Fachleitner qui n’était que 5ème au classement avant cette dernière étape et qui avait participé amplement à la victoire de Robic.
L’italien terminait devant son compatriote Aldo Ronconi, le leader de l’équipe d’Italie et remportait tout de même le Prix du grimpeur.
L’Italie s’adjugeait le classement par équipe.
Quant à René Vietto, il termina à la 5ème place, lui qui rêvait de remporter ce tour après avoir été deuxième en 1939, dernier Tour avant le conflit mondial.
Carte postale René Vietto (collection particulier)
Il restera comme le coureur s’étant sacrifié en 1934 par deux fois pour Antonin Magne, lui donnant sa roue dans la descente de Puymorens lors de la 15ème étape et puis le lendemain, son vélo dans la descente du Portet-d’Aspet. Sans ses sacrifices, n’aurait-il pas remporté le Tour 1934… à la place d’Antonin Magne ?
Epilogue
Ce premier Tour de France après le conflit mondial avait la particularité d’être gagné par Jean Robic n’ayant jamais couru avec le maillot jaune sur les épaules…
Peu de chose à dire sur le passage du Tour 1947 à Belfort hormis le ravitaillement. La Cité du Lion étant trop loin de l’arrivée et la chaleur avait d’une certaine manière, freiné l’ardeur des coureurs.
JM
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Références presse : Journaux L’Alsace et La République (collection Archives municipales de Belfort), Miroir Sprint,
Références livre : Tour de France (Jean-Pierre de Mondenard)
Référence Web : Wikipédia, Site La Grande Boucle, Site Le Tour, L’INA (résumé des 5ères étapes Tour 1947), Divers autres Sites…
Infos pratiques
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Appendice
(1) Henri Desgrange : Pour voir l’article : Cliquer ici
(2) Jacques Goddet : Né le 21 juin 1905 à Paris, il va devenir un journaliste sportif après ses études. Il entra au journal L’Auto en 1924 où son père Victor fut un des administrateurs. Dès 1928, il en devient le directeur sportif avant de succéder à Henri Desgrange en 1931 au poste de directeur du journal.
Livre Jacques Goddet par Jacques Marchand (Editions Atlantica)
Dans la continuité, telle une voie royale, il devient en 1936, par intérim, le directeur du Tour de France. Dès 1928, il avait effectué quelques étapes en tant que journaliste, puis la totalité l’année suivante. En 1946, il est autorisé à lancer un nouveau quotidien, L’Equipe. Il relance le Grande Boucle en 1947 en tant que directeur général, poste qu’il conserva jusqu’en 1987. Il fut toutefois présent lors des deux éditions suivantes.
Afin de faire évoluer le Tour, il va promouvoir les innovations techniques comme l’emploi du dérailleur et lancer de nouveaux concepts comme le classement par points (futur maillot vert) et le prologue.
Si le Tour de France, c’était sa passion avec sa présence à 54 éditions, il fut aussi le directeur de Paris-Roubaix, Paris-Tours et Bordeaux-Paris. Si le cyclisme était son sport privilégié, ce fut sous sa responsabilité que L’Equipe créa la Coupe d'Europe des Clubs Champions de football en 1956 et fut à l’initiative de la création de la Coupe du monde de ski alpin en 1967, comme beaucoup d’autres épreuves.
Il décède le 15 décembre 2000 à Paris.
Comme pour Henri Desgrange qui a un mémorial au Col du Galibier, un mémorial fut dressé en l’honneur de Jacques Goddet en 2001 mais lui, au Col du Tourmalet. Elle fut réalisée par le sculpteur breton Roger Jonquourt.
Carte postale Stèle Jacques Goddet
En 2010, pour le 100ème anniversaire du passage du Col du Tourmalet, le prix ‘’Souvenir Jacques Goddet’’ fut créé pour récompenser le 1er coureur le franchissant. Il revint au belfortain, Christophe Moreau.
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