Quid de cette visite présidentielle à Belfort ?
MAJ le 6 décembre 2019
Dans cette rubrique des cartes à identifier, j’ai décidé de traiter celle-ci, son libellé précise que le cliché fut pris à Belfort lors d’une visite présidentielle.
Extrait de la carte postale : le libellé
Par contre, on ne sait pas qui est le président et à quelle date, cet évènement eut lieu !
La carte postale à compléter l’identification (collection JM)
Comme pour les précédentes cartes postales ou photos, je vais décliner la procédure employée pour compléter l’identification de l’évènement du cliché et développer autour de celui-ci.
NA : En fin de texte, un lien permet d’accéder au répertoire des articles de cette thématique
Recto de la carte photo
Quel est le lieu ?
Le lieu où fut pris le cliché est relativement facile à identifier, car à gauche en partie supérieur de la carte postale, on distingue d’une part le groupe central* du Monument des Trois Sièges et le dôme* de la Salle des Fêtes.
Extrait de la carte postale : zoom sur la partie supérieur gauche
*Groupe Central du monument : Le groupe central en bronze est composé de deux allégories. En face principale, face à la préfecture, une représentation de la France et de la Ville de Belfort par la présence d’une guerrière casquée qui donne une couronne de lauriers à une vierge jeune et robuste tenant un glaive dans sa main.
Carte postale du haut du Monument des 3 Sièges (col. JM)
NA : En fin du texte, un lien permet d'accéder à l'inauguration du Monument des Trois Sièges.
*Dôme de la Salle des Fêtes : La Salle des Fêtes construite en 1912-1913 du type néobaroque, par l'architecte municipal Eugène Lux, possède comme toiture un dôme.
Carte postale Belfort Salle des Fêtes (col. JM)
Donc la photo fut prise sur la Place de la République, le photographe étant dos à la Préfecture.
Carte postale Belfort Place de la République (coll. JM)
Quel Président de la République ?
Le cliché montre un homme descendant d’une automobile, surement le Président de la République au regard du libellé, serrant la main à une autre personne, un militaire ?
Extrait de la carte postale : Les personnalités ?
Présence de militaires entourant le visiteur et un civil dos tourné. De nombreux autres militaires en second plan avec des civils.
Les arbres sont feuillés et il a du faire une averse peu de temps avant la prise de vue, pavés au sol mouillés et même présence d'une flaque d’eau.
Revenons au personnage, son allure, ses vêtements et sa fonction font que son identification tomba rapidement, il s’agit de Raymond Poincaré.
Carte postale Raymond Poincaré (coll. privée)
Il fut Président de la République du 18 février 1913 au 18 février 1920, donnant et limitant la plage des recherches.
La présence de militaires autour de lui et les vêtements portés ciblent plutôt la période de la Première Guerre Mondiale, 1914-1918, ou une date très proche.
Raymond Poincaré est venu à plusieurs reprises à Belfort pendant ce conflit, mais ce cliché fut pris à quelle date ?
Carte postale Patriotique Le Lion (coll. JM)
J'ai trouvé qu'il était venu le 26 janvier 1916 à Belfort mais cette date ne convient pas. On est plutôt en été vu le feuillage des arbres !
Ayant épuisé mes pistes, j’ai contacté Jean-Christophe Tamborini aux Archives départementales du Territoire de Belfort qui me communiqua des informations pertinentes :
‘’Il est passé à de multiple reprise à Belfort, cependant au regard des uniformes déjà bleus horizons, cela ne peut être qu'après le printemps 1915 que cette photo a été prise.’’
Dans les éphémérides de Louis Herbelin*, il a extrait cette information dans son journal du 11 août 1916 :
‘’La première chose que j’ai apprise, en sortant de la gare, c’est que le président de la république était venu hier soir à Belfort. Ainsi on peut s’en rendre compte par l’entrefilet ci-contre, il revenait d’Alsace."
Donc le 10 août 1916, le Président de la République était venu à Belfort.
La presse va permettre de donner le contour de cette visite.
Raymond Poincaré en tournée dans les Vosges
Le mercredi 9 août 1916, le Président était parti de Paris pour effectuer une tournée dans les Vosges afin de visiter, entre autre, les installations de défense du côté de Saint-Dié et s'était rendu en Alsace, avec un arrêt à Masevaux.
Carte postale Raymond Poincaré en médaillon (coll. privée)
Il était accompagné du ministre de l’Intérieur Louis Malvy, du commandant de la 7e armée, le Général Etienne de Villaret, de son secrétaire le Général Paul-Louis Duparge, des Généraux Jean-Marie Brulard et Marie-Georges Demange.
Arrivé par le train à Saint-Dié, il rencontra à l’Hôtel de Ville, les autorités civiles, religieuses et militaires. Il remit des décorations, au préfet et à deux conseillers municipaux. Après ces mondanités, il visita les hôpitaux et les quartiers endommagés par les bombardements.
Carte postale Saint-Dié Hôtel de Ville (coll. privée)
NA : Au début de la guerre, l’Hôtel de ville fut muré pour servir d’abris.
Après un déjeuner à La Chapelle, avec le Général Louis Franchet d’Esperey, le Commandant du Groupe d'Armées de l'Est, Raymond Poincaré se rendit en auto au col du Bonhomme, pour voir les lignes françaises et ennemies.
Trajet effectué le 9 août par le Président (réal. FB)
Puis le Président passa au Linge où les combats furent terribles, ainsi qu’à la Schlucht et au Hohneck.
Carte postale Col du Bonhomme Illustration Paul Thiriat (coll. privée)
On ne sait pas où a dormi Raymond Poincaré et sa suite ! Cornimont ?
Raymond Poincaré en tournée en Alsace
Le lendemain, le 10 août le Président de la République toujours avec sa délégation poursuivit sa tournée en direction de l’Alsace. Ils traversèrent les communes alsaciennes libérées pavoisées aux couleurs françaises, pour rejoindre Masevaux, sa dernière étape avant de rejoindre Paris.
Trajet effectué le 10 août par le Président (réal. FB)
Vers 16 heures, il arriva à Masevaux où il reçu un accueil très chaleureux de la population alsacienne.
Carte postale Masevaux Raymond Poincaré en visite (coll. privée)
NA : Le Président de la République était déjà venu le 24 janvier 1916.
Il fut accueillit par le maire, Henri Ansel, l’administrateur militaire, M. Bacquart et l’administrateur adjoint, M. Gasquet.
Il revint aux chasseurs à pied ainsi qu’à la compagnie des sapeurs-pompiers de la commune, qui avait pour l’occasion ressorti son vieux drapeau français datant d’avant 1871, de rendre les honneurs au Président de la République.
Concours de circonstance, se trouvaient à Masevaux, le préfet du Haut-Rhin, Joseph Zimmermann, le préfet de la Haute-Saône, Etienne Coÿne et Etienne Dusevel, le secrétaire général de la préfecture de Belfort et ancien député de la Somme.
Carte postale Raymond Poincaré en Alsace (coll. privée)
Le préfet profita de la rencontre inopinée pour solliciter le Président à pousser sa visite jusqu’à Belfort et à sa population qui apprécierait hautement sa venue, même de courte durée. Devant une telle incitation, il accepta de passer par la Cité du Lion avant de repartir sur Paris, le soir même.
L’ensemble de la délégation, des autorités civiles et militaires du secteur assistèrent à une distribution de prix aux enfants dont ceux qui avaient obtenu leur CEP (Certificat d’Etude Primaire) dans une salle de l’école. Ensuite, les enfants chantèrent plusieurs morceaux, en français. Le Président les félicita ainsi que les maîtres et maîtresses.
Il salua les autorités civiles et militaires qui l’avaient reçu et la délégation monta dans les véhicules pour rejoindre Belfort.
Le Président de la République à Belfort
Le Président de la République et sa délégation, arrivèrent dans la Cité du Lion. A 18h40, ils furent devant la préfecture.
Carte postale La Préfecture (coll. JM)
Bien que la visite fût imprévue, toutefois l’information même tardive de sa venue fit que la foule s’était amassée sur la place de la République, ainsi que le photographe de l’Editeur Eve pour prendre la photo de la descente de son véhicule.
Carte postale Raymond Poincaré à son arrivée (coll. JM)
A la descente de son véhicule, il fut salué par qui ?
NA : La tenue vestimentaire du quidam est un peu particulière, apparemment noire cintrée type combinaison et il possède une casquette. Avec sa position, je pencherai pour le conducteur du véhicule… Il avait certainement ouvert la porte au Président et le saluait car sa mission se terminai là.
Je suis ouvert à toute proposition contradictoire argumentée !
Dans le cortège des véhicules venant d’Alsace, il y avait, entre autres, le ministre de l’Intérieur, Louis Malvy, le Commandant du Groupe d'Armées de l'Est, le Général Louis Franchet d’Esperey, le secrétaire du Président, le Général Paul-Louis Duparge, les Généraux Jean-Marie Brulard et Marie-Georges Demange, des officiers d’ordonnance…
Le préfet du Haut-Rhin Joseph Zimmerman et le secrétaire général de la préfecture, Etienne Dusevel, avaient certainement précédé la délégation présidentielle pour les attendre à la préfecture.
NA : La personne de dos en civil sur le cliché est probablement le préfet.
A la préfecture, le Président échangea rapidement avec le préfet, le secrétaire général, Etienne Dusevel et avec les autorités militaires dont le Général Hanoteau, le commandant de la place de Belfort, le Commandant Schwoob, le major de la garnison…
Raymond Poincaré accompagné du ministre de l’Intérieur, du préfet et du secrétaire général de la préfecture… se rendit à l’Hôtel de Ville où il était attendu.
Carte postale Belfort Hôtel de Ville (coll. JM)
Il fut accueilli dans le grand salon du 1er étage, en l’absence du maire, par le 1er adjoint Xavier Houbre* accompagné de membres du conseil municipal*, qui lui souhaita la bienvenue au nom du maire, du conseil municipal et de la population belfortaine et le remercia de l’honneur apporté par sa visite même brève.
François-Xavier Houbre (photo AD90)
Il exprima la confiance en un triomphe final et rappela que Belfort fut le lien entre la France et l’Alsace pendant un demi-siècle, espérant son retour rapide à la mère patrie. Il finit par un
‘’Vive la France immortelle et Vive la République !’’
*François-Xavier Houbre : Peu après sa réélection, le maire Charles Schneider décéda le 8 décembre 1914. En tant qu’adjoint, il fit fonction de maire. Aux élections suivantes en 1920, il ne fut pas élu !
*Conseil municipal : Plusieurs conseillers municipaux étaient sur le front. Les présents étaient, Auguste Masson le 2e adjoint, Louis Jeanneret, Julien Hantz, Gaillard, Joseph Wagner et Charles Wagner.
Carte postale Belfort Hôtel de Ville Salon d’honneur (coll. JM)
Le Président remercia pour cet accueil et répondit qu’il était venu témoigner, à la ville bombardée, de la sympathie du gouvernement et de la France. Il félicita le conseil municipal et les belfortains pour leur persévérance et leur vaillance face aux épreuves cruelles subies par la ville suite aux bombardements fréquents. Il donna l’assurance que tout était mis en œuvre pour la protéger, il avait demandé au général en chef, Joseph Joffre, de prendre toutes les mesures nécessaires.
Il assura que la Victoire était en vue avec l’aide des armées alliées.
Après avoir, salué les membres du conseil municipal et les personnes présentes dans le grand salon, il s’avançât sur le balcon dominant l’entrée du bâtiment.
Carte postale Belfort Hôtel de Ville (coll. JM)
A son apparition, la foule amassée devant l’hôtel de ville l’applaudit chaleureusement et lança des vivats :
‘’Vive Poincaré ! Vive la France !’’
Le Président leur répondit par :
‘’Vive Belfort ! Vive la France ! Vive la République’’
Après avoir salué les élus, il quitta l’Hôtel de ville pour rejoindre le quai militaire de la gare où son train l’attendait. Il décida d’y aller à pted.
Le Président, piloté par le Préfet, accompagné des autorités civiles et militaires et suivi de la délégation traversa la ville.
Au passage au pont Carnot, il put voir les traces laissées sur le bâtiment à l’entrée du quai Vallet, par le bombardement effectué dans la nuit du 22 au 23 juillet par le canon allemand* à longue distance de Zillisheim.
Carte postale Belfort Le bâtiment quai Vallet bombardé (coll. JM)
*Canon allemand installé à Zillisheim, au sud de Mulhouse pouvait tirer des obus de 750 kilogrammes à 38 kilomètres. Belfort était à 34 kilomètres de distance, reçu 14 obus de 380 millimètres, sur un total de 41 sur le Belfort périurbain. Le premier tir eut lieu le 8 février 1916 et le 14e le 10 octobre 1916.
NA : Suivant les sources, on donne des distances différentes de portée !
Tout le long de son parcours, le Président de la République fut acclamé.
Arrivé à l’entrée de l’avenue de la Gare, le cortège se rendit sur le pont au bout de la rue du Pont Neuf; le Président put constater un autre lieu bombardé, le Château Stractman (propriété Lefranc), en bordure de voies, qui avait reçu un obus de 380, toujours du même canon, le 2 juillet.
Carte postale Belfort Le Château Stractman bombardé (coll. JM)
Il se rendit sur le quai militaire où un train spécial l’attendait pour son retour à Paris où il devait présider le lendemain, un conseil des ministres.
Carte postale La gare de Belfort (coll. JM)
Le train quitta Belfort à 19h20 sous les acclamations.
Sa visite du janvier 1916
En début d’article, j’ai écrit que le Président de la République était venu à Belfort le 26 janvier 1916. J’ai voulu voir ce qu’en disait la presse…
Le journal L’Alsace n’en parle pas mais signale dans son édition du 28 janvier qu’une cérémonie de remise de médailles fut effectuée en Alsace par le Président lors d’une visite du front d’Alsace.
Par contre, le journal La Frontière dans son édition du jeudi 27 janvier, signale le passage du train du Président à Belfort le lundi 24 à 15h30. Mais, il s'est un peu mélangé les crayons… pour effectuer son compte-rendu s'appuyant sur des informations qui ont été communiquées (par un tiers X) !
Journal La Frontière du 27 janvier (coll. AD90)
Il sous-entend que le Président se rendait en Haute-Alsace en passant par le col de Bussang, en automobile (ce n'est pas écrit !).
Pas ou peu de détails, hormis que la population, non informée, fut surprise de l’important déploiement du service d’ordre !
Il rapporte que le train du Président a quitté Belfort vers 19 heures (sans en donner le jour !).
L’article dans le journal La Frontière du 27 janvier (coll. AD90)
Par contre dans les éphémérides de Louis Herbelin, à la date du 25 janvier, il signale que le Président est arrivé à Belfort le 24 en automobile, venant d'Alsace. Il était accompagné du président du Sénat, Antonin Dubost et du président de la chambre des députés, Paul Deschanel.
Extrait article du Bulletin de la Société Belfortaine d'Emulation 1916
Ils n'ont fait que traverser Belfort pour prendre leur train à 19 heures.
Pour tenter de clarifier cette visite (en prenant les informations dans les différents textes)
Le Président et ses accompagnateurs seraient partis le samedi 22 janvier de Paris pour visiter les troupes, les dimanche 23 et lundi 24, stationnées dans les Vosges et en Alsace. Il a remis des décorations à Masevaux.
Carte postale Masevaux Raymond Poincaré en visite le 24 (coll. privée)
Ils ont rejoins Belfort vers 18h30 pour prendre le train spécial affrété à son endroit, avec un départ à 19 heures.
Donc une visite éclair à Belfort !
Apparemment, la presse n’a pas été informée de la visite et on n’a pas connaissance, à ce jour, qu’un photographe ait pris un cliché…
Autre édition du cliché (de la visite du 10 août)
Le cliché utilisé pour l'édition de la carte postale, fut aussi diffusé via une carte photo.
Carte photo utilisant le même cliché (coll. privée)
Il y a de forte probabilité qu'elle fut éditée en premier pour des questions de rapidité en termes de disponibilité.
Epilogue
Pendant la guerre, le Président Poincaré est venu plusieurs fois à Belfort, ce cliché est le seul connu à ce jour de sa présence dans la Cité du Lion… et le plus surprenant, il fut photographié lors d’une visite imprévue !
Une petite interrogation, pourquoi l'éditeur n'a-t-il pas nommé le Président Poincaré ? Pour éviter la censure ?
JM
Mes remerciements à Jean-Christophe Tamborini, directeur adjoint des Archives départementales du Territoire de Belfort
Liens pour accéder aux articles cités
Pour accéder à la catégorie des cartes identifiées du 90 : Cliquer ici
Inauguration du Monument des trois Sièges : Cliquer ici
Référence presse : Les journaux L’Alsace et La Frontière (coll. Archives Départementales du Territoire de Belfort, AD90), Bulletin de la Société Belfortaine d'Emulation 2016 (coll. Archives Municipales de Belfort, AMB), Livre Coevatte Suarcine Vendeline, Magazine Vivre le Territoire.
Référence Web : Divers Sites…
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