Quid de cette carte postale du torréfacteur Rich à Belfort ?

Dernièrement, j'ai acheté une carte postale connue sur un site de vente, dont le vendeur est… un belfortain que je connais bien, par ailleurs.

Elle représente une maison avec les installations permettant la torréfaction du café; le propriétaire étant un dénommé E. Rich., à Belfort.

Carte postale Entreprise de torréfaction à Belfort (coll. JM)

Par contre, l'implantation de ce lieu n'est pas citée. Donc un nouveau challenge à relever, identifier son implantation et confirmer ainsi que les clichés furent bien photographiés à Belfort !

Comme pour les autres cartes de cette catégorie "Cartes postales identifiées du 90", je vais dérouler le processus appliqué pour atteindre cet objectif.

NA : En fin de texte, un lien permet d'accéder aux articles de cette catégorie.

Verso de la carte photo

Quelle (s) information (s) au dos de la carte postale ?

La carte postale fut utilisée comme un brouillon de facture concernant une commande de 4 types de café.

Verso de la carte postale (coll. JM)

Pour cette pseudo "note", le kilogramme de café torréfié localement, variait de 3,50 à 4,50 francs.

Recto de la carte photo

Le recto de cette carte postale comprend 3 clichés et un texte descriptif.

 

Recto de la carte postale (coll. JM)

Décortiquons les informations pouvant être exploitées à partir du recto de la carte postale.

Photo centrale

Au centre, deux façades d'une maison dont la principale possède des inscriptions concernant l'activité du bâtiment.

Extrait de la carte postale : Le cliché central

Sous la charpente côté gauche, on peut lire l'inscription "GDE BRULERIE DE CAFES"

Sous la charpente côté droit, l'inscription n'est pas lisible et semble différente !

Extrait de la carte postale : La façade principale avec les inscriptions

Sous la fenêtre du haut, l'inscription "A TRACTION ELECTRIQUE"

Au-dessus de la porte, l'inscription "E. RICH BELFORT"

De chaque côté de la fenêtre, on peut penser à une mosaïque de grains de café et un personnage dessiné… le torréfacteur ?

On voit aussi une dame tirant une charrette, est-ce l'épouse d'E. Rich qui lui serait sur le seuil de la porte d'entrée ?

Extrait de la carte postale : Les propriétaires du lieu ?

Cette hypothèse tient la route si on considère que le propriétaire des lieux a fait effectuer les photographies pour l'édition de cette carte.

Photo de gauche

Le cliché de gauche montre les machines utilisées pour bonifier le café.

Extrait de la carte postale : Machines à bonifier le café

On peut y voir plusieurs machines utiliser à cet escient.

Photo de droite

Le cliché de droite montre les machines utilisées pour torréfier et trier le café.

Extrait de la carte postale : Machine à torréfier et trieuse

Texte descriptif

En dessous des photos, le texte imprimé en deux parties décrivant l'installation garantissant la qualité du café  

"Installation Moderne et Hygiénique
pour la Torréfaction des Cafés bonifiés dits antitoxiques"

et donnant le nom du propriétaire et le lieu

"E. RICH, Belfort"

Extrait de la carte postale : Le descriptif

Cette carte postale est d'une certaine façon une carte publicitaire pour promouvoir la qualité des cafés torréfiés du commerçant en mettant en avant, l'investissement effectué pour y parvenir.

Quid de la torréfaction ?

L'opération de torréfaction des grains de café est une action très délicate, presqu'un art ! Ce processus découvert par les arabes au 14^e siècle, d'une façon fortuite, sert à les griller pour en faire dégager les essences aromatiques. Suivant la pratique, les résultats peuvent être très différents.

Carte postale Un atelier de torréfaction à Limoges (col. Privée)

Pour réaliser cette opération, les grains verts sont versés dans le torréfacteur (ou brûleur), consistant en un tambour du type grilloir cylindrique en rotation léché par les flammes. Il fallait environ 20 minutes pour obtenir les grains désirés.

Localisation de la carte postale

Où était implantée cette maison de torréfaction de café à Belfort ?

Pour tenter de répondre à cette question, une des premières étapes est d'utiliser les annuaires dont je possède des copies

Les annuaires

Les annuaires sont des documents précieux en cas de recherches de ce type, ils font partis de la boîte à outils.

Annuaire 1921-1922 (copie disponible)

Dans l'annuaire de 1921-1922, il y un "Riche" au "72 rue Croix du Tilleul", sans prénom et avec un "e" final au nom... dans la rubrique des Commerces & Industries, à "CAFÉ TORRÉFIÉ (Brûlerie de)".

Extrait de l'annuaire 1921-1922 : Riche, rue de la Croix du Tilleul

Par contre le nom du commerçant n'est pas référencé dans la rubrique des adresses des habitants !

Annuaire 1929

Dans l'annuaire de 1929, dans la rubrique des Commerces & Industries, à Café torréfié, on a la même information, sur le dénommé "Riche" avec un "e"

Extrait de l'annuaire 1929 : Riche, rue de la Croix du Tilleul

Probabilité que le "e" en fin du nom est en réalité le "E" du prénom qui fut accolé au nom ! Erreur du typographe ?

Dans la rubrique Abonnés au téléphone, il est présent sous "Rich" sans "e" avec le numéro de téléphone "0.52".

Extrait de l'annuaire 1929 : Rich, numéro de téléphone 0.52

Dans cette rubrique, Rich est bien orthographié sans "e".

Annuaire 1951

Le vendeur de la carte postale, possédant l'annuaire 1951, avait trouvé une veuve "E. Rich" à cette même adresse, du "72 rue de la Croix du Tilleul".

Extrait de l'annuaire 1951: Rich E. Veuve

À ce stade, les enseignements tirés de ces informations récoltées, me font avancer l'hypothèse que ce torréfacteur était installé au 72 de la rue de la Croix du Tilleul.

Pour confirmer cette supposition, il faut vérifier l'existence et la configuration de cette maison sur les plans. Je fis appel à mon ami Bernard qui a une plus grande expérience que moi, pour ce type de vérification.

Plan actuel : Positionnement du n°72 dans la rue de la Croix du Tilleul

Sur un plan suivant de 1919 bien détaillé, le numéro 72 était mitoyen avec le 70 et 74 donc ne correspondant pas trop à notre visuel sur la carte postale !

Plan 1919 : Positionnement du n°72 dans la rue de la Croix du Tilleul

Pour m'imprégner du sujet, je suis allé sur place pour voir la configuration des lieux.

L'immeuble actuel du 72, rue de la Croix du Tilleul (photo JM)

Par contre sur le plan 1919, il y avait un bâtiment au milieu de la parcelle, donnant sur la rue de la Poissonnerie. Serait-ce celui-là ? La numérotation a peut-être évolué au fil du temps !

Pour progresser dans cette recherche, il faut passer à une autre étape…

Outils de recherches : Les recensements

Dans la boîte à outils, la consultation des recensements est une bonne source d'informations pouvant apporter des éléments notables en vue de résoudre l'énigme. Ils sont accessibles, en partie, sur le site internet des archives municipales.

Le recensement de 1911

Dans le recensement de 1911, j'ai trouvé la famille Rich installé au 124 du faubourg des Vosges (aujourd'hui, avenue Jean Jaurès), composée

  - du père, Édouard, né en 1872 à Guebwiller, épicier
  - de la mère Fidélia née Guenat, en 1872 à Bournevésin (Suisse), ménagère
  - d'une fille Marie, l'ainée née en 1897, à Belfort
  - d'un fils Émile, né en 1898, à Belfort
  - d'un second fils, Georges, né en 1898, à Belfort

Extrait du recensement 1911 (doc AMB)

Donc la famille tenait commerce, une épicerie au 124 du faubourg des Vosges.

Carte postale Belfort Place du marché & faubourg des Vosges (coll. JM)

Le n°72 de la rue de Croix du Tilleul n'existe pas encore, dans ce recensement.

Le recensement de 1921

Dans le recensement de 1921, la famille n'est plus au 124 du faubourg des Vosges mais au 72, rue de la Croix du Tilleul et à évaluer dans sa composition

  - du père, Édouard, né en 1872 à Guebwiller, torréfaction
  - de la mère Fidélia, en 1872 à Bournevésin (Suisse)
  - d'un fils Émile, né en 1898, à Belfort
  - d'un second fils, Georges, né en 1908, à Belfort
  - d'une fille Jeanne, née en 1912, à Belfort

Extrait du recensement 1921 (doc AMB)

Donc Georges était né en 1908 et non en 1898 comme écrit dans le recensement de 1911. L'ainée Marie n'est plus dans le foyer. Une deuxième fille, Jeanne, a agrandi la famille.

Le père n'est plus épicier mais torréfacteur; il a dû changer d'activité avant ou après la Première Guerre Mondiale… les listes électorales permettraient de répondre à cette question, mais elles ne sont pas disponibles actuellement.

Émile est apparemment à Paris comme potier.

Le "E" est donc pour le prénom du père, Edouard et non pour le fils, Émile que j'avais supposé au départ.

Le recensement de 1926

Dans le recensement de 1926, le père Edouard n'est plus présent. Apparemment, c'est la mère qui est à la tête du commerce, son époux est-il décédé ?

Le fils Émile seconde sa mère et Georges est comptable chez Fournier, le spécialiste des annuaires.

Extrait du recensement 1926 (doc AMB)

Le recensement de 1931

Apparemment, l'activité de torréfaction s'est arrêtée; la mère est déclarée sans profession.

Émile n'est plus présent à cette adresse et Georges a toujours le même métier

Extrait du recensement 1931 (doc AMB)

Le recensement de 1936

La famille Rich s'est agrandie car Georges s'est marié avec Aveline Martinell (née en 1908), rejoint par leur fille Françoise née en 1932. Le mariage eut lieu l'année suivante.

Extrait du recensement 1936 (doc AMB)

Le recensement de 1906

Après avoir consulter les recensements postérieurs à 1911, j'ai aussi consulté ensuite ceux antérieurs.

Le recensement de 1906 est identique à celui de 1911 mais sans le fils Georges puisque né en 1908; la famille étant au 124 du faubourg des Vosges.

Extrait du recensement 1906 (doc AMB)

Le recensement de 1901

Le recensement de 1901 est identique à celui de 1906, la famille était au 124, du faubourg des Vosges.

L'immeuble en 2022, la cellule commerciale fut celle
de l'épicerie d'E. Rich, il y plus d'un siècle (photo JM)

Le recensement de 1896

Au recensement de 1896, la famille n'est pas encore installée au 124 du faubourg des Vosges mais Edouard Rich est présent au 92 ter du faubourg des Vosges en tant qu'employé, chez un épicier, Paul Guénat… le frère de Fidélia.

Extrait du recensement 1896 (doc AMB)

Dans le recensement, était annotée sa nationalité, Suisse.

Outils de recherches : Les actes d'états civils

Comme les recensements, les actes d'état civils apportent leurs contributions aux recherches. Je me suis attelé à trouver les actes d'états civils de la famille qui peuvent m'apporter sinon des réponses, au moins des éclairages salutaires pour tenter de résoudre l'énigme.

J'ai trouvé l'acte de mariage d'Edouard Rich avec Fidélia Guénat, contracté le 5 décembre 1896 à Belfort, les actes de naissance de la fille aînée Maria, née le 18 février 1897, d'Émile le 25 mars 1898, de Georges le 4 novembre 1908 et Jeanne le 11 juillet 1912. Tous les quatre nés à Belfort.

Comment souvent, j'ai fait appel à mon ami Philippe, le Sherlock Holmes de l'internet pour qu'il explore ses arcannes et en extraire des informations sur la famille Rich.

Il m'a trouvé l'acte de naissance du père, Edouard, le 23 septembre 1872 à Guebwiller, ainsi que d'autres informations sur la famille Rich et sur les liens familiaux entre les familles Rich et Guénat; deux mariages croisés.

En 1898, le père Edouard, obtint la nationalité française pour lui et sa fille Maria; il avait déposé le 31 janvier les demandes de naturalisation devant le juge de paix.

Extrait du Bulletin des lois de la République française
(doc Gallica, BNF)

Car Maria, née à Belfort en 1897, fut enregistrée sous la nationalité du père, allemande; l'Alsace fut annexée en 1871 suite à guerre Franco-Prussienne de 1870-1871.

Il trouva aussi une information commerciale dans Le courrier de l'alimentation du 12 juillet 1909, qu'E. Rich, installé à Belfort, torréfie les grains de café au moyen d'un système électrique breveté.

Extrait du journal Le Courrier de l'alimentation(doc. Gallica, BNF)

Est-ce le début de son activité de torréfacteur ? On peut le supposer.

Outils de recherches : Les annuaires (suite)

Pour continuer mes recherches, je décidai d'aller consulter la collection des annuaires possédée par les Archives départementales du Territoire de Belfort, pouvant apporter des informations complémentaires à celles possédées à ce stade.

Pour ce chapitre, j'ai effectué un tableau recensant les informations issues des annuaires accessibles.

Tableau des informations recueillies dans les annuaires (réal. JM)

Synthèse provisoire

À partir de ce tableau de synthèse conjugué avec les autres informations récoltées précédemment, se dégage le déroulement de la vie commerciale de la famille Rich.

Après avoir été employé comme épicier au 92ter du faubourg des Vosges, chez son futur beau-frère, Edouard fut épicier à minima à partir de 1897 au 124 du même Vosges. En parallèle, il aurait commencé l'activité de torréfaction du café, à partir de 1909.

En 1922, la famille a déménagé au 72 rue de la Croix du Tilleul et Edouard s'est consacré à la seule activité de torréfaction de cafés.

Mais les informations possédées ne permettent pas de valider le lieu précis de l'implantation de la brûlerie !

Enfin, une bonne pioche !

Connaissant mes recherches, Fanny Girardot, la directrice des Archives municipales de Belfort, m'a conseillé de regarder les dossiers de voirie de la rue de la Croix du Tilleul où l'on trouve les travaux de canalisation, les terrains frappés d'alignement...

J'ai consulté ces dossiers et bingo, car parmi ceux-ci, il y en avait un, concernant la parcelle de… Edouard Rich, qui fut frappée d'alignement ! Cette opération datée de juillet 1908, vit le propriétaire céder gratuitement le morceau de sa parcelle concerné (4,10 m²) à la ville.

Plan d'alignement de mai 1908 (doc. AMB)

Par contre, sur les documents contenus dans le dossier, pas de trace du numéro de la rue ! Mais le plan permet de situer aisément les lieux via la présence de la rue des Lavandières.

Je me suis rendu sur les lieux pour éventuellement identifier la maison du cliché.

Eh bien, la maison est toujours là ! Elle est située au 14, de la rue Charles Gounod, rue baptisée le 29 mars 1930 par le Conseil municipal.

La maison au 14 rue Charles Gounod (photo JM)

Même si le bâtiment bleu ne permet pas de voir la totalité de la façade principale, on retrouve bien les 2 fenêtres au-dessus de la porte dissimulée, avec les mêmes configurations d'encadrement avec corniche partiellement en brique.

Sur la façade latérale, même position et configuration des deux premières fenêtres. Entre le rez-de-chaussée et le 1^er étage, présence du bandeau longitudinal séparateur.

Pour mémoire, le cliché de l'entrepôt dont on ne voit qu'un seul tiers de cette façade latérale.

Extrait de la carte postale : Le cliché central

Localisation résolue !

L'entrepôt était au même niveau ou presque du 124 du faubourg, mais à l'Est, dans la rue perpendiculaire à la rue de la Croix du Tilleul !

Plan avec les rues et les numéros des différentes lieux (doc. BF & JM)

Épilogue

La localisation de cette carte postale m'a donné pas mal de fil à retordre… sans l'aide reçue, elle serait encore une énigme ! Mais comme toujours, ou presque, ma ténacité m'a permis d'atteindre l'objectif que je m'étais imposé.

Seule la date de construction de l'entrepôt n'est pas certaine, vers 1908 ou avant ?

Voilà une nouvelle carte photo identifiée qui va rejoindre la catégorie (ou rubrique) "Carte postale localisée hors du 90".

JM

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Comments

[ulysse]

bravo ; Colombo : un rigolot