La construction de la Salle des Fêtes de Belfort : Lot 7 (1ère partie) La machinerie de scène

MAJ le 20 juin 2023

Après les gros œuvres (maçonnerie, toiture et zinguerie), puis les finitions intérieures (menuiserie, plâtrerie, peinture, éclairage et chauffage), à ce stade, il restait à réaliser, entre-autre, les équipements de la scène de la nouvelle Salle des Fêtes de Belfort.

Parmi ceux-ci, comprenait la machinerie intégrée dans le Lot 7.

Scène, coupe du plan de disposition du cintre gril (doc. AMB)

Cette huitième partie de l'article est donc consacrée à l'équipement nécessaire pour manœuvrer les différents jeux de décors (rideaux, éclairage…).

NA : En fin de texte, un lien permet d'accéder au Sommaire des articles sur la Salle de Fêtes, dont ceux consacrés aux Lots 1 à 6.

Le devis de la machinerie

À l'inverse des lots précédents, cet équipement ne fut point l'objet d'un devis mais d'une estimation par l'architecte municipal Charles Emond. Il avait prévu une enveloppe de 15000,00 francs pour la machinerie, les décors et l'ameublement, sur un budget total à 245000 francs.

Ce Lot 7 est donc éclaté en 3 parties traitées séparément.

  - 1^ère partie : La machinerie
  - 2^e partie : Les décors
  - 3^e partie : L'ameublement

NA : Les deux autres parties feront l'objet d'un article spécifique.

Attribution du Lot 7 (1ère partie), la machinerie

Comme pour les lots précédents, le Lot 7 fit partie de la démarche d'adjudication choisie et effectuée par la municipalité par voie d'affichage et de presse, mi-août 1911, pour l'ensemble des lots prévus pour la construction du futur bâtiment.

À la date d'ouverture prévue du 5 septembre, plusieurs lots furent sans offre ou avec des offres supérieures aux devis donc non acceptables au regard des règles applicables dans ce type de processus.

Extrait affiche annonçant l'adjudication du mardi 5 septembre 1911
(doc. AMB)

Face à cette situation, la municipalité décida de traiter de gré à gré avec les entreprises.

Pour ce Lot 7, à défaut d'offre, elle chargea l'architecte municipal de contacter des entreprises spécialisées en machinerie de théâtre pour obtenir des devis permettant de choisir celle qui sera chargée de fournir et installer l'équipement.

Dès janvier 1912, la Société Léon Duvergée installée à Paris, spécialisée en aménagement et construction scénique, proposa ses services ayant appris* la construction de la Salle des Fêtes.

 Extrait courrier entreprise Duvergée (doc. AMB)

*Appris : L'information lui fut communiquée par le directeur de la Grande Taverne, pas celle de Belfort mais celle de Nancy, par un dénommé Thomas.

Carte postale Nancy Grande Taverne (coll. Jean Monvoisin)

NA : Pour mémoire, il existe un article sur la grande Taverne de Belfort, en fin de texte, un lien permet d'y accéder.

Lors de son estimation, l'architecte municipal avait prévu une machinerie de décors relativement simple mais demandant des manutentions pour installer les toiles de fond de scènes.

Avant de finaliser le cahier des charges, il demanda au conseil municipal, le 30 septembre 1912, de se positionner sur ce choix initial où fallait-il plutôt prévoir une scène pour accueillir des pièces de théâtre, ce qui par définition demandait un équipement plus élaboré ?

Car le projet actuel demandait que les toiles des décors soient pliées en deux, pour être escamotées de la scène; pour les grandes scènes actuelles, les décors sont remontés en seule fois.

Extrait rapport de l'architecte (doc. AMB)

Lors du conseil municipal du 3 octobre 1912, le maire Charles Schneider demanda au conseil municipal de se prononcer. La configuration proposée avec remontage en une seule fois, coûtait une plus-value de 20000 francs. Les conseillers municipaux votèrent contre la modification.

Extrait de la délibération du conseil municipal (doc. AMB)

Le conseil municipal demanda à l'architecte de contacter les différentes sociétés belfortaines pouvant être amenées à utiliser ce nouvel écrin, sur le choix d'équipement à acquérir, simple comme prévu ou mieux équipé; le retour de l'enquête se tourna vers une machinerie plus complète.

Par ailleurs, la scène de la future Salle des Fêtes dans une configuration plus élaborée pourrait être aussi louée pour des tournées de spectacles parisiens.

Au regard de ces retours et attentes, il contacta plusieurs sociétés pour obtenir un devis de l'installation revue en termes de possibilités offertes.

Après avoir reçu les offres et les avoir analysées, Charles Emond fit un premier rapport pour le conseil municipal, le 22 avril 1913, puis le rapport final renouvelé le 18 juin.

Il en ressortait qu'il avait reçu deux offres pour l'équipement de la future scène

  - Entreprise Duvergée, Paris : 8450,00 francs
  - Entreprise Wessbecher, Paris : 8700,00 francs

L'architecte municipal confia que la seconde entreprise Wessbecher Père & Fils, manufacture de meubles en fer, proposait une machinerie plus complète que son concurrent.

Extrait courrier de l'entreprise Wessbecher (doc. AMB)

Il signala qu'à ces montants, il fallait ajouter environ 500,00 francs pour les travaux de fixations dont des scellements à effectuer. Il rappela que la charpente prévue était en bois, pour une ossature métallique, une plus-value de 800,00 francs était à prévoir.

Extrait rapport de l'architecte (doc. AMB)

Par contre, pour probablement faire pencher la balance de son côté, la Société Duvergée avait décidé de prendre en charge les frais de scellements de la machinerie, par un courrier daté du 19 juin 1913.

Le conseil municipal choisit la Société Duvergée, sur conseil de l'architecte municipal et pour son devis moins-disant à 8450,00 francs, scellements compris, le 21 juin 1913. La validation de la délibération ne fut actée par l'administrateur du Territoire (le préfet), que le 2 octobre.

Extrait courrier entreprise Duvergée (doc. AMB)

Comme le devis initial pour le Lot 7 comprenait la machinerie, le décor et l'ameublement, le préfet dut vouloir des éléments explicatifs de la répartition des budgets entre les trois équipements, de la part de la municipalité pour donner son aval.

Le marché de gré à gré fut passé à l'entreprise Léon Duvergée, dont les ateliers étaient installés au n°99 rue Petit, à Paris, que le 1^er décembre 1913.

Extrait du procès-verbal d'adjudication du Lot 7 (doc. AMB) 

Il fut validé le 4 décembre par l'administrateur du Territoire (le préfet) Louis-Ferdinand Fontanès.

Descriptif d'une machinerie dans son environnement

La machinerie de scène est un équipement complexe composée de parties fixes et mobiles, dont le rôle dévolu est de faire apparaître ou disparaître les différents décors de la scène; elle permet de réaliser la scénographie du spectacle.

La cage de scène

La machinerie est intégrée dans la cage de scène, partie du bâtiment où se déroule le spectacle ainsi que les coulisses oopèrent les machinistes.

Elle est incluse entre 4 murs

    - le mur de face, le mur percé permettant de voir le décor et les acteurs
    - le mur lointain qui limite le fond de scène
    - le mur côté jardin
    - le mur côté cour

La cage de scène (Fig. 1) comprend différents éléments

  - Le plateau, le plancher de la scène se composant de

      - l'avant-scène, la partie devant le rideau, la plus proche des spectateurs,
      - la face, le milieu
      - le lointain, la partie la plus éloignée
      - le jardin, la partie latérale de gauche
      - la cour, la partie latérale de droite

Fig. 1 : Exemple de cage de scène (Dico du théâtre, doc. JC)

  - Le cadre de scène, il entoure l'ouverture du mur de face en limitant la vision sur sa hauteur réelle et la profondeur de ses côtés latéraux

  - Les cintres, parties invisibles des spectateurs, le cœur de la machinerie avec

     - les services où interviennent les machinistes sur les passerelles aériennes
     - le gril, plancher à claire-voie en partie supérieure reçevant les moufles (poulies) et mères de famille (plusieurs poulies sur un même cadre) (Fig. 7), permettant de monter ou descendre les décors

Du côté jardin et cour, sont situées les coulisses et les loges des artistes.

Les décors

Ils sont de deux catégories, les rigides sous forme de châssis pouvant être déplacés aisément et les souples sous forme de rideaux pouvant s'enrouler pour être monter vers le gril ou descendus via des filins.

Les châssis sous forme de bâtis de bois et de toiles tendues peuvent être sous forme de praticables donc posés sur le plateau ou sont tenus via deux mats emboîtés dans le plateau 

Fig. 2 : Exemple d'un décor réalisé via des châssis et des rideaux
(Traité de scénographie, doc. JC)

Fig. 3 : Perspective montrant la position des éléments du décor
(Traité de scénographie, doc. JC)

Les rideaux sont soit des tissus décorés ou soit des toiles peintes assurant des rôles différents suivant leur position dans la profondeur de cage de scène

Fig. 4 : Exemple de rideau (Dico Théâtre, doc. JC)

  - le rideau d'avant-scène, placé derrière le cadre de scène, il permet de clôturer la scène, il peut être uni ou décoré; il fut peu à peu abandonné pour être remplacé par le rideau plissé, en deux parties, se déplaçant transversalement
  - le rideau de manœuvre, placé derrière le précédent, utilisé entre deux scènes pour masquer le changement de décor
  - le rideau de fond comme toile de fond au décor
  - la frise, de faible hauteur, a un rôle de "cache misère" pour dissimuler les cintres mais peut avoir un rôle de décor, comme représenter le ciel
  - les principaux, pour proposer un décor différent
  - d'autres, les découvertes permettant de donner de la profondeur à un décor via une ouverture du rideau principal, les pendrillons remplaçant les châssis, les filets simulant la légèreté d'un décor de feuillage…

Fig. 5 : Exemple de rideau manœuvré avec contrepoids
(Traité de scénographie, doc. JC)

NA : La machinerie de la Salle des Fêtes fut équipé de ce système pour effectuer les manœuvres de rideaux, de toiles, de frises…

Pour escamoter les rideaux peints, plusieurs alternatives suivant les cintres

   - si les cintres sont suffisamment hauts, le rideau est simplement levé droit
   - si les cintres ne le sont pas, un fourreau (perche) est fixé à mi-hauteur du rideau pour la réduire et l'escamoter

Il existe aussi des rideaux dits à la polichinelle, ils sont enroulés sur un rouleau.

Fig. 6 : Exemple de rideaux à la polichinelle (Dico Théâtre, doc. JC)

La décoration peut être complétée par des tapis de sol.

La machinerie de manœuvre

Elle comprend tous les éléments nécessaires à installer et modifier les décors, avec l'objectif d'être effectué dans un temps restreint. Elle s'appuie sur des principes de mécanique en utilisant des treuils, des contrepoids, des mères de famille (flasque à plusieurs poulies), des moufles (poulies)

Fig. 7 : Exemple de moufle & mère de famille (Dico Théâtre, doc. JC)

La circulation des contrepoids s'effectue dans une cheminée pour la sécurité du personnel; elles sont situées contre les murs cour et jardin.

Fig. 8 : Exemple de contrepoids (Dico Théâtre, doc. JC)

NA : La machinerie de la Salle des Fêtes fut équipée avec le type de contrepoids de gauche (Fig. 8).

Pour manœuvrer les rideaux, sont utilisés des éléments intermédiaires

  - les perches ou porteuses (voir Fig. 5) peuvent être en bois ou en acier sur lesquelles sont accrochées les rideaux, les toiles peintes ou autres éléments de décor, voire d'éclairage
  - les patiences, pour effectuer le coulissage horizontal des rideaux (dit à la grecque)

Fig. 9 : Exemple de rideau manœuvré avec des patiences

Pour effectuer les manœuvres, il fallait des machinistes en quantité, en fonction du nombre de décors nécessaires pour une présentation et du temps demandé pour chaque plan.

NA : Les différents termes nommant les différents matériels utilisés pour manœuvrer, proviennent de la terminologie utilisée dans la marine.

La machinerie de la Salle des Fêtes

La salle des Fêtes fut équipée d'une machinerie comprenant

Le cintre gril

Le gril réalisé sous la forme d'une ossature en fer fixé dans les murs de face et du lointain, était suspendu par cinq barreaux rigides fixés au centre du plafond. Une échelle de meunier fixée (escalier raide) côté du mur lointain permettait d'y accéder.

Fig. 10 : Coupe du plan de disposition du cintre gril (doc. AMB)

Le gril supportait les mères de famille, les moufles (Fig. 6) permettant de descendre et lever les rideaux de décor ainsi que les trois tambours pour manœuvrer les herses d'éclairage.

Fig. 11 : Exemple d'une herse d'éclairage
(Traité de scénographie, doc. JC)

De chaque côté du gril, était présent un plancher situé à une hauteur de 7,50 mètres du plancher, permettant aux machinistes d'effectuer les manœuvres de descente et montée des rideaux (Fig. 5). L'accès s'effectuant par le côté cour, un pont transversal permettant d'accéder côté jardin. Des gardes corps protégeant la circulation et les manœuvres.

Une logette d'électricien

Côté jardin, un poste surélevé de 2,5 mètres permettait à l'électricien d'accéder au tableau électrique pour piloter l'éclairage de scène et de la salle; il accédait à cette plateforme par une échelle. 

Fig. 12 : Coupe du plan de disposition du cintre gril (doc. AMB)

Un équipement du plateau

Le plateau possédait 5 boîtes à mats sur la profondeur des côtés latéraux du plateau (jardin et cour), permettant d'installer des décors via des mats type échelle. Les premières furent positionnées à un mètre de distance du cadre de scène.

Elles permettaient de positionner un pied du mât (tel un axe), le deuxième possédant une béquille ou une équerre (Fig. 13) permettait de l'incliner suivant le besoin du décor.

Fig. 13 : Exemple de procédé de fixation des mats type échelle

Autres équipements (mobiles)

Dans le cadre du contrat, l'entreprise avait fourni 2 échelles de draperie permettant de recevoir des châssis peints et 8 mâts munis d'échantignolles avec échelons alternés, type perroquet s'emboitant dans les boîtes de mâts fixés sur le plateau.

Fig. 14 : Exemple d'échelle et de mâts (Dico Théâtre, doc. JC)

Une liste des accessoires

Avec les équipements fixes de la machine, fut fourni le kit de matériels nécessaires destinés à effectuer les manœuvres

  - 20 mères de famille
  - 200 moufles avec une poulie en fonte
  - 10 plots de contrepoids à grosse poulie
  - 10 tiges de contrepoids en fer forgé
  - 400 kilos de contrepoids en fonte
  - 300 kilos de cordage en chanvre de différents diamètres
  - 3 tambours pour les herses

Les moyens de manœuvre mécaniques

La machinerie de la Salle des fêtes possédait 11 équipes* permettant de manœuvrer les différents éléments de décor de la scène.

*Équipe : L'ensemble des éléments mécaniques (cordages, mère de famille, moufles, contrepoids et porteuse ou perche) nécessaires pour manœuvrer un élément de décor, un rideau, une rampe d'éclairage…

Fig. 15 : Exemple d'une équipe (Dico Théâtre, doc. JC)

   - 1 équipe pour le rideau d’avant-scène (peut être monté sur une patience)
   - 1 équipe avec un rideau écran de cinéma
   - 8 équipes libres pour installer au choix, un rideau, une toile peinte de différentes surfaces, un décor léger ou un appareil d'éclairage
   - 3 tambours pour les herses manœuvrés depuis le grill (Fig. 9)

Fig. 16 : Exemple de 4 équipes au-dessus de plusieurs mâts

Les toiles peintes

Cinq toiles peintes furent fournies par la Société Tilet & Numa

  - Décor extérieur représentant : un parc, une place publique et un palais
  - Décor intérieur représentant : un salon riche et une pièce rustique 

NA : Cette partie est développée dans le Lot 7 (2e partie), les Décors.

Déroulement des travaux d'installation de la machinerie

L'installation de la machinerie comprenait une préparation dans les ateliers de l'entreprise Duvergée, situés à Paris.

Par un courrier du 23 septembre, elle demanda au 1^er adjoint François-Xavier Houbre quand elle pourrait effectuer l'installation sur site. Elle était aussi chargée, par l'entreprise Tirlet & Numa, de monter les décors destinés à la scène.

Extrait courrier entreprise Duvergée du 23 sept 1913 (doc. AMB)

Elle put intervenir à partir de mi-octobre pour équiper la scène de la machinerie et commença le montage des décors à mi-novembre.

Donc l'entreprise effectua les travaux avant que le marché de gré à gré ne soit paraphé; il ne le fut validé que par le préfet le 4 décembre !

À cette même date, un bilan effectué donnait l'état des lieux de l'avancement des travaux qui était bien engagé, à la hauteur de plus de 50%.

 Extrait état d'avancement des travaux (doc. AMB)

Les travaux furent terminés au début de la deuxième quinzaine de décembre, permettant d'effectuer la réception provisoire du Lot 7; elle fut prononcée le 23 décembre 1913, entérinant la situation.

Extrait du procès-verbal Réception provisoire (doc. AMB)

Bilan financier du Lot 7

Le montant des travaux effectués par l'entreprise Léon Duvergée fut conforme au montant du devis à 8450,00 francs lors du vote, du 21 juin 1913, par le conseil municipal.

Le procès-verbal de réception définitive fut établi le 4 février 1915.

Extrait du procès-verbal Réception définitive des travaux (doc. AMB)

Fin de la 8^e partie, la suite à découvrir via le Sommaire (lien ci-dessous).

Épilogue

Les travaux du Lot 7 concernant l'installation de la machinerie furent réalisés pour l'inauguration de la Salle des Fêtes, le 4 janvier 1914, par la Société parisienne Léon Duvergée.

Dans cette partie, je n'ai pas voulu me mettre en scène, mais expliquer ce qui se cache derrière... la scène, la machinerie.

Elle fut complétée par les décors qui lui donnaient tout son crédit.

JM

Mes remerciements à Jacques Courtot, l'ancien directeur technique du théâtre du Granit, pour sa contribution explicative et documentaire; elle m'a permis la rédaction technique des chapitres techniques "Descriptif d'une machinerie dans son environnement" et "La machinerie de la Salle des Fêtes".

Liens pour accéder aux articles cités

Sommaire des articles sur la Salle des Fêtes : Cliquer ici

La Grande Taverne : Cliquer ici

Références : Dossier Salle des Fêtes (Archives municipales de Belfort, AMB), Livres Dictionnaire raisonné et illustré du théâtre à l'italienne et Traité de scénographie (collection Jacques Courtot, JC)

Infos pratiques  

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