Visite du ballon Stella à Belfort (Les pionnières, le club féminin Stella...)
MAJ le 5 avril 2021
Lors de mes recherches d'informations pour rédiger les articles sur les dirigeables venus (ou prévus) à Belfort, j'ai découvert un article, sur la revue bimensuelle L'Aérophile, concernant le départ du ballon Stella III de la Cité du Lion, le 18 septembre 1910.
Départ de l'aéronef le 18 septembre (L'Aérophile, doc. Gallica, BNF)
Sa destination était la Suisse.
NA : En fin de texte, un lien permet d'accéder au Sommaire des articles sur les Dirigeables & les Ballons.
L'Aérophile
Avant d'entrer dans le vif du sujet, quelques mots sur cette revue, "L'Aérophile".
"L'Aérophile" était une revue illustrée sur l'aéronautique, publiée à partir de mars 1893. Elle fut créée par l'Union Aérophile de France. Au départ de périodicité mensuelle, elle devint bimensuelle à partir de 1908.
Illustration de M Mallet pour la revue (doc. Gallica, BNF)
Elle fut la revue officielle de l'Aéro-Club de France, dès sa création en 1898.
L'Aérophile fut édité jusqu'en 1947.
Cette revue technique et pratique est une référence mondiale, une bible pour tout aérophile.
Le ballon Stella III à Belfort
Le dimanche 18 septembre 1910, un ballon sphérique de 1200 m3, le Stella III, du type ASTRA immatriculé n°1645, a pris son envol depuis un terrain du quartier ouest de la place de la République, secteur en cours de construction, sur un terrain situé derrière la Caisse d'Épargne.
Carte postale Belfort Place de la République (coll. JM)
NA : La flèche rouge signalant le lieu du départ approximatif.
À son bord, le pilote Henry Kapferer accompagné de deux dames, Mme de Carrascosa* et Mlle Marie Tissot.
*Mme de Carrascosa : Dans le journal de La Frontière, un autre nom cité que le sien, celui de Mme Lejeune, l'épouse du pilote émérite Alfred Leblanc !
Après que l'enveloppe fut gonflée, l'équipage monta dans la nacelle de l'aéronef car le départ était prévu à midi. Le signal fut donné par les cloches de l'église Saint-Christophe. Le ballon décolla sous un beau soleil pour ce vol à destination de Lucerne* (Suisse).
L'équipage dans la nacelle de l'aéronef (L'Aérophile, doc. Gallica, BNF)
*Lucerne : Toujours dans le journal La Frontière, la destination prévue était Paris ! Le journaliste avait perdu le nord, plutôt l'est…
Les caprices du vent firent que l'aérostat subit des vents contraires le poussant à l'opposé de sa destination, en direction de Vesoul. L'aérostier tenta toute l'après-midi de trouver un courant porteur en direction de l'est !
Après des heures d'incertitude sur la possibilité d'atteindre l'objectif, en début de soirée, enfin les vents furent conciliants et permirent à l'aéronef de se diriger vers sa destination.
Extrait : Mme de Carrascosa, Mlle MarieTissot et Henry Kapferer
L'équipage passa la nuit en l'air et atterri à Eschenbach, commune située à 6 kilomètres de Lucerne, le lundi matin vers 6h30, donc après 19 heures de vol pour effectuer environ 130 kilomètres à vol d'oiseau.
À cette époque, avec ce moyen de déplacement, on savait quand on partait, pas quand on arrivait !
NA : Lors de mes recherches approfondies (avec l'aide de Philippe), je n'ai pas trouvé ni le moyen utilisé par l'équipage venu à Belfort, ni d'où il venait !
Quelques jours plus tard, le 28 septembre, les deux passagères effectuèrent un nouveau vol mais dans un autre type d'aéronef, avec le dirigeable "Ville de Lucerne". Elles purent profiter pour découvrir le lac des Quatre-Cantons et Lucerne pendant un vol qui dura 55 minutes. Probabilité que le pilote soit Henry Kapferer.
Carte postale Le dirigeable "Ville de Lucerne" (coll. privée)
Ce dirigeable fut fabriqué par la société du pilote, ASTRA.
Quelques informations sur le trio ayant effectué ce voyage depuis Belfort.
Henry Kapferer
Né à Paris le 2 octobre 1870, Henry Kapferer fit des études qui l'emmenèrent à l'École des Mines en 1891 où il obtint son diplôme d'ingénieur.
Carte postale Henry Kapferer, dessin au fusain (coll. privée)
Après des activités dans l'exploitation pétrolière, il effectua un grand voyage à travers le monde, Amérique du Nord, Caucase, Japon, Sumatra… De retour en France, il entra à la Société Astra de constructions aéronautiques. Il contribua à son activité créative avec l'introduction des hélices horizontales sur les dirigeables.
Dès 1906, il tenta de faire décoller des aéroplanes Voisins et Paulhan mais sans réussite. Il fut l'un des pilotes des dirigeables de sa société ASTRA.
Parallèlement, il assura la fonction de commissaire à l'Aéro-Club de France.
Il fut aussi un des contributeurs en 1910, de la construction du premier aérodrome Suisse, à… Lucerne ! Il y fit voler le dirigeable Astra "Ville de Lucerne" (anciennement appelé "Ville de Pau").
Carte postale Le dirigeable "Ville de Lucerne" (coll. privée)
NA : Donc le voyage entre Belfort et Lucerne n'était pas le fait du hasard, il était en relation étroite avec l'activité du développement du nouvel aérodrome suisse.
Il obtint son brevet de pilote d'aéroplane en 1912.
Il poursuivit sa carrière dans sa société, participant à son évolution dont la fusion avec la Société anonyme des établissements Nieuport en 1920.
Il décéda le 25 novembre 1958.
Mlle Marie Tissot
Cette demoiselle, apparemment de Besançon, Mlle Marie Tissot fut une des aéronautes précurseures. Elle adhéra au club de l'Aéronautique Club de France.
Marie Tissot (L'Aérophile, Gallica, BNF)
Son baptême se déroula le 6 septembre 1908, dans le ballon "La Muette" piloté par Marie Surcouf. Son premier vol eut lieu entre Rueil au nord-ouest de Paris, point de départ et Plessis Saint-Jean (Yonne), lieu d'atterrissage; il dura 6 heures. Quant à la pilote, chevronnée, elle était à son 19e vol.
Marie Tissot & Marie Surcouf, le 6 septembre 1908 (L'Aérophile, Gallica, BNF)
Ce vol fut une révélation et le premier d'une longue série pour devenir, elle-même pilote.
Comme une grande partie des membres féminins, elle quitta le club de l'Aéronautique Club de France pour rejoindre, dès 1909, le Club aéronautique Stella créé récemment.
Elle fut la deuxième féminine, derrière Marie Surcouf, à obtenir, en août 1910, son brevet de pilote sportive suite à un vol, seule, entre Issy-les-Moulineaux et le lieu-dit Barussel à Saint-Jean-les-deux-Jumeaux, près de Meaux, après un vol d'un de plus de 2 heures.
Elle effectua son premier vol en aéroplane le 2 janvier 1912 en ayant la possibilité de survoler Paris, une première pour une femme; son pilote Maurice Prévost, un pionnier de l'aviation.
Sa sœur Marie rejoignit le club Stella…
Mme F. de Carrascosa
Par contre, peu d'informations trouvées sur cette noble espagnole installée en France, Mme F. de Carrascosa.
Elle adhéra au Club aéronautique Stella, le 8 juillet 1909, et rapidement elle effectua ses premiers vols comme passagère.
Club aéronautique Stella
Le 10 février 1909 fut créé le Club aéronautique Stella à l'initiative de Mmes Marie Surcouf et Mme Airault, toutes d'eux épouses de pilote, regroupant 17 autres ferventes adeptes de sport aéronautique.
Logo du Club Stella (L'Aérophile, coll. Gallica, BNF)
Cette création fut la conséquence de la non prise en compte des avis du Comité des femmes au sein de l'Aéronautique Club de France.
Un an plus tard, le club comprenait 122 membres et fin 1913, 350 membres.
Dans ce club, les hommes sont admis comme membres mais ne participent pas aux décisions. Il s'affilia à l'Aéro-club de France, le 15 avril 1909, lui permettant ainsi de délivrer des brevets de pilote suivant les règles définies.
Mme Marie Surcouf (L'Aérophile, coll. Gallica, BNF)
Le club organisait des conférences, des ascensions, des vols en avion, des visites d'installations aéronautiques… et des activités mondaines.
Mme Japy de Beaucourt fut adhérente du club.
Les activités aéronautiques du Club s'arrêtèrent en août 1914, pour cause de Première Guerre Mondiale.
Fête aérienne fleurie
Le Club organisa sa première Fête Aérienne fleurie, le 17 juin 1909, au parc de l'Aéro-Club de France à Saint-Cloud. Un programme fut édité dont la première était illustrée par Charles Atamian du journal Le Monde Illustré.
La fête débuta par un déjeuner qui rassembla les membres du club, et quelques invités dont les pilotes masculins, avant la fête aérienne; il fut servi au club-house du Parc des Côteaux sous la présidence d'honneur d'Henry Deutsch de la Meurthe.
À l'ouverture à 14 heures, les dames, membres et invitées, recevaient des fleurs à leur arrivée.
La musique du 31e de ligne offrit un concert à l'assemblée.
Carte postale Saint-Cloud Les Coteaux Ballons au départ (coll. privée)
Pour l'occasion, six ballons présents pour l'évènement, avaient été fleuris et baptisés d'un nom de fleur.
Ballon "Les Bleuets" (900 m3) : Pilote Mme Marie Surcouf avec Mme Airault et Marie Tissot.
Ballon "Les Roses" (900 m3) : Pilote Albert Omer-Decugis, avec son épouse et Mme Desfossés-Dalloz
Ballon "Les Œillets" (1200 m3) : Pilote Marquis Edgard de Kergariou avec Mmes Vincent et Savignac
Ballon "Les Pivoines" (1000m3) : Pilote Comte Georges de Castillon de Saint-Victor avec Mmes Abulfeda et Monnot, et M. Airault
Ballon "Les Pâquerettes" (1200m3) : Pilote Maurice Guffroy avec M. et Me Dumas, et Paul Abulfeda
Ballon "Les Hortensias" (900m3) : Pilote Alfred Leblanc avec Louis Blériot et son épouse.
Ce dernier au contraire des cinq autres, avait au programme un vol de nuit.
Carte photo Saint-Cloud Fête Aéronautique des fleurs (coll. privée)
À 17 heures, s'éleva en premier, le ballon "Les Bleuets" qui fut confronté à un fort vent avec des rafales mesurées à 12 mètres/seconde (43,2 km/h). La pilote aguerrie, Marie Surcouf, laissa partir le ballon vers le sud-est, pendant que ces deux accompagnatrices lâchèrent une pluie de pétales de fleurs. Peu après 19 heures, il atterrit à Auxy près de Beaune-la-Rolande, au nord-est d'Orléans, soit un parcours de 110 kilomètres.
Mmes Airault, Marie Tissot et Marie Surcouf (coll. Gallica, BNF)
Les autres ballons suivirent et atterrirent en deux différents lieux mais toujours au nord-est d'Orléans. "Les Pivoines" et "Les Œillets" aux environs de Malesherbes, à Mouchecourt et à Vievy, vers 20 heures. Tandis que les ballons "Les Roses" et "Les Pâquerettes" à Milly (devenu Milly-la-Forêt) retrouvèrent le "plancher des vaches" près de la forêt de Fontainebleau, trois quart d'heure plus tard.
"Les Hortensias" partit pour un vol de nuit, sous le signe de la pluie, se posa à 5 heures du matin, à Villemontais, près de Roanne à environ 400 kilomètres de leur lieu de départ.
Marie Surcouf
Marie Surcouf (1863-1928) née Marie-Valentine Nelly Bayard, adhéra dès 1904 à l'Aéronautique Club de France.
Elle fut brevetée pilote aéronaute, le 28 juillet 1906.
Marie Surcouf (coll. Gallica, BNF)
Dès le 23 août, avec Mlle G. Gache, elles effectuèrent le premier vol d'un équipage féminin avec le ballon "Bengali" (600 m3) du parc d’aérostation des Coteaux de Saint-Cloud à Neuilly sur Marne, avec un passage au-dessus de la Tour Eiffel :
- Distance parcourue : 24 kilomètres
- Altitude : 600 mètres
- Durée du vol : 2h45
Marie Surcouf obtint le premier brevet de pilote sportif, le 17 juin 1909, acquis en effectuant dix ascensions à 2 personnes dont une de nuit.
Ballon Stella III
Les aéronefs dont les ballons Stella furent construits par les sociétés successives de l'époux de Marie Surcouf, Edouard Surcouf (1862-1938) !
Carte postale Un exemple d'un ballon complet en vol (coll. privée)
En 1899, il reprit l'entreprise où il assurait le poste de directeur général, les Grands ateliers aérostatiques de Paris créé en 1899 par Louis Pierre Godard (1864-1910), le fils de Louis Godard (1827-1890) qui fut un des responsables de la plus importante manufacture aéronautique de la fin du 19e siècle, les Grands Ateliers Aérostatiques du Champ-de-Mars.
Edouard Surcouf (coll. Wikipédia)
Il rebaptisa la société sous l'appellation les Ateliers aéronautiques Édouard Surcouf et l'implanta à Billancourt. En 1908, elle devint la Société de Constructions Aéronautiques ASTRA, suite à l'entrée au capital du financier Henry Deutsch de la Meurthe. Cette nouvelle société continua à construire les ballons, mais aussi des dirigeables.
Publicité 1912 Société ASTRA (L'Aérophile, coll. Gallica, BNF)
NA : En fin de texte, un lien permet d'accéder au Sommaire des articles sur les dirigeables & ballons.
Mais sous l'influence de son actionnaire principal, elle va se diversifier par la fabrication des plus lourds que l'air, les aéroplanes, sous brevets des frères Orville & Wilbur Wright en France, pionniers américains en tant que concepteur, ingénieurs et constructeurs.
Épilogue
Parti de Belfort, avec cet équipage en direction de Lucerne, j'ai continué le vol pour développer l'article sur ces pionnières de l'aéronautique (Marie Surcouf, Marie Tissot…) et de leur association, le Club aéronautique Stella.
JM
Lien pour accéder aux articles cités
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Références : Journal L'Aérophile (coll. Gallica), Journal La Frontière (coll. Archives Départementales du 90), Wikipédia, Gallica (BNF)
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