La construction de la Salle des Fêtes de Belfort : Lot 1 Gros œuvres de maçonnerie

MAJ le 24 avril 2024

Dès 1909, le maire Charles Schneider et le conseil municipal de Belfort eurent le projet de construire une Salle des Fêtes. Ils demandèrent à l'architecte municipal Charles Emond de concevoir un projet. Si le premier ne fut pas retenu, le second fut accepté et un budget fut voté pour sa réalisation.

 Façade principale du projet retenu (extrait plan AMB)

Après avoir élaboré le devis pour sa construction, décomposé en 9 lots, il fut en charge de suivre le déroulement des travaux en donnant les documents nécessaires aux entreprises choisies par le conseil municipal.

Cette deuxième partie de l'article est consacré au Lot 1, concernant les gros œuvres de maçonnerie.

NA : En fin de texte, un lien permet d'accéder au Sommaire des articles sur la Salle de Fêtes, dont celui consacré à la genèse du projet.

Le devis de la maçonnerie

Pour ce devis, certainement un des plus importants des neufs, l'architecte avait sollicité le bureau d'étude Paul Piketty, spécialiste en béton armé, pour l'établir.

Extrait courrier Paul Piketty à Charles Emond (doc. AMB)

Le montant fut estimé à 131097,77 francs, plus de la moitié du devis total.

1ère adjudication de lots de travaux

Dans le cadre d'une liste importante de plusieurs travaux, dont les principaux étaient ceux pour la construction de la Salle des Fêtes (lots 1 à 9), de deux chalets de nécessité…, la municipalité décida de les soumissionner mi-août, avec un avis passé dans la presse locale et par un affichage.

Les offres devant être ouvertes le 5 septembre 1911.

Affiche annonçant l'adjudication du mardi 5 septembre 1911
(doc. AMB)

Le 5 septembre 1911, la commission municipale voulut procéder à l'adjudication des lots dont ceux pour la construction de la Salle des Fêtes, mais ne put l'effectuer en totalité… en absence d'offre ! Pourtant, des offres furent bien déposées le 2 septembre pour tous les lots, par plusieurs entreprises belfortaines, puis retirées avant les adjudications pour certains ! Apparemment, leurs volontés étaient d'obtenir une révision des devis valorisée de 10% !

Au regard de la situation, la municipalité décida et vota le 7 octobre, le principe de traiter de gré à gré avec les entreprises. Informées du changement du mode d'attribution des travaux, certaines d'entre-elles revinrent présenter leurs offres à la municipalité.

Extrait de la délibération du 7 octobre 1911(doc. AMB)

Mais comme certaines offres reçues étaient plus élevées que les devis initiaux, l'administrateur du Territoire (le préfet), Georges Surugue, rétorqua le 17 octobre, le gré à gré, et imposa que le conseil municipal devait se positionner sur les devis révisés des augmentations. Il vota le 5 novembre les nouvelles offres pour le Lot 1 majoré de 12%; le préfet avalisa la nouvelle délibération, le 27 novembre 1911.

2e mise en adjudication, Lots de travaux 1 & 2 

Dans un second temps, la municipalité remis à nouveau en adjudication les lots 1 & 2, mais avec un devis porté à 163152,85 francs pour le Lot 1 (+10%), avec une décision d'attribution planifiée le jeudi 21 décembre 1911.

Affiche annonçant l'adjudication du jeudi 21 décembre 1911
(doc. AMB)

Pour le Lot 1, la municipalité reçue cinq offres des entreprises belfortaines :

  - Rodolphe Paronelli : -5%
  - Lucien Wicker : -3%
  - Simon Simonnet : -7%
  - Ange Colombe : -3%
  - Joseph Tournesac : -14%

Au regard des nouvelles offres, la municipalité choisit l'entreprise Tournesac dont l'offre s'élevait à 140311,46 francs.

Extrait du procès-verbal d'adjudication (doc. AMB)

L'adjudication fut validée par le préfet le 27 décembre 1911.

Polémique / au choix de l'entreprise Rournesac

Une polémique fut lancée par le journal Le Haut-Rhin Républicain dans son édition du 4 janvier 1912.

Manchette journal Le Haut Rhin Républicain (coll. AMB)

Il revint sur le déroulement de l'attribution des lots dont le premier qui fut attribué à l'entreprise Tournesac avec une offre plus élevée de 12% que le devis, quand l'entreprise Paronelli avait proposé une offre plus élevée de 9,5% (en réalité 9% écrit dans son courrier), donc inférieure à son concurrent !

Extrait de l'offre de l'entreprise Paronelli (doc. AMB)

Mais le préfet ayant refusé d'entériner le 17 octobre, le gré à gré sur des offres supérieures aux devis sans vote du conseil municipal, les entreprises durent refaire des offres et l'entreprise Tournesac fit une nouvelle offre de -2% du devis initial et fut choisi !

Extrait article journal Le Haut Rhin Républicain (coll. AMB)

La municipalité répondit que l'entreprise Paronelli n'ayant fait sa nouvelle offre que 13 octobre, elle vint après que la décision soit prise, le 12 octobre, d'attribuer le marché à son concurrent; elle argua qu'elle ne voulait pas se dédire.

NA : Comme écrit précédemment, le conseil municipal acta le gré à gré autorisé que le 5 novembre donc bien après avoir reçu l'offre de l'entreprise Paronelli. Mais comme l'entreprise Tournesac avait fait une offre inférieure au devis, la municipalité avait tout intérêt à la choisir.

Déroulement des travaux du Lot 1

L'autorisation de débuter les travaux fut donnée à l'entreprise Tournesac, le 27 mars 1912, par l'architecte Charles Emond, en charge de diriger et suivre les travaux, car il fournissait les documents (plans, notices…) en fonction de l'avancement des travaux.

Extrait courrier entreprise Tournesac (doc. AMB)

Avant d'effectuer ses achats de matière en avril 1912, l'entreprise demanda de remplacer la chaux de Teil, prévu au devis, par du ciment de laitier jusqu'au niveau du sol et par de la chaux de Champagnole pour l'élévation; cette proposition étant favorable pour la construction du bâtiment, elle fut acceptée par le conseil municipal, le 20 avril.

Les travaux débutèrent seulement mi-mai, par la préparation des fondations, mais avant, il fallut effectuer des fouilles pour retirer les fondations et autres vestiges de l'ancien manège; l'Entreprise des Travaux Publics Olivier Rupert n'avait effectuée, lors de sa démolition, que la mise à niveau du sol en l'alignant sur la place de la République.

Carte postale Belfort Début des travaux de construction
de la Salle des Fêtes (coll. FB)

Lors de ses travaux, l'entreprise Tournesac fit une découverte surprenante, du moins, imprévue. Si je peux me permettre, les ouvriers tombèrent des nues…

Une découverte

En effectuant les fouilles, elle mit à jour des vestiges de l'ancien manège, pas seulement, mais aussi des tombes !

Elles furent convoyées au musée de la ville le 12 juillet. Il était situé dans l'ancien Hôpital Sainte-Barbe, rue Roussel, depuis 1905, après avoir été dans l'Hôtel de Ville, ayant déménagé car trop à l'étroit en ce lieu.

Carte postale Belfort L'ancien hôpital (coll. BF)

Sur ce cliché, le premier bâtiment fut une école, avant de devenir une annexe de l'ancien Hôpital Sainte-Barbe installé dans le bâtiment suivant; l'ensemble devint le musée et la bibliothèque municipaux.

La mairie demanda avis à la Société Belfortaine d'Émulation sur l'origine de ces tombes et leur devenir. Des membres se rendirent sur place pour tenter de déterminer leur origine. Ils identifièrent leur provenance, elles étaient issues de l'ancienne collégiale de Saint-Denis, qui était située derrière la Halle aux grains, elle fut démolie en 1751, après la construction d'une église sur la place d'Armes, elle s'appela dans un premiers temps église Saint-Denis avant de devenir l'église Saint-Christophe.

Elles étaient en très mauvais état mais deux d'entre-elles permettaient de voir des inscriptions permettant d'identifier les défunts, un dénommé "Giboulet" et un second dont le nom avait disparu mais avec des inscriptions lisibles "Lieutenant", "1691"…, devant permettre de l'attribuer.

Que sont-elles devenues ? Mes recherches n'ont pas abouti !

Au cimetière de Brasse ?

Carte postale Belfort Cimetière de Brasse (coll. JM)

Poursuite des travaux

Après cet imprévu, les travaux reprirent leur déroulement par la poursuite des fouilles et le début des fondations.

Carte postale Belfort Début des maçonneries en élévation
de la Salle des Fêtes (coll. JM)

À la fin juillet 1912, les socles des fondations, la maçonnerie des moellons bruts de celles-ci étaient réalisés. La maçonnerie des moellons du pays en élévation était en cours.

PV de l'avancement du Lot 1 au 31 juillet 1912 (doc. AMB)

À fin septembre 1912, les fondations étaient terminées ainsi que le montage des moellons en élévation, le coulage du béton armé pour les poteaux de soutien de la dalle de la salle principale, les murs en brique, les escaliers inférieurs, le palier intermédiaire, l'escalier d'accès à la salle et les parties inclinées recevant les gradins.

Au contrat, le planning prévoyait le début de montage de la toiture six mois après la date de lancement des travaux.

Mais l'avancement à fin septembre n'était pas en adéquation avec ce planning car la "maçonnerie" devait être terminée et ce fut loin d'être le cas ! De plus, la charpente fut commandée tardivement, que début novembre, à la société Paul Gay d'Héricourt qui la livra début décembre.

Extrait courrier Paul Gay (coll. privée)

L'architecte fut obligé régulièrement de rappeler à l'ordre l'entreprise pour activer l'avancement des travaux. Suite à un courrier de de Joseph Tournesac du 5 novembre, cherchant à se dédouaner du retard lié à des informations manquantes, il fit un rapport le 9 novembre à la municipalité, rétablissant les faits, tout en soulignant le travail soigné de la maçonnerie.

Extrait rapport de l'architecte (doc. AMB)

Au cours du dernier trimestre de l'année 1912, les travaux suivants furent effectués, la poursuite de la maçonnerie des moellons du pays en élévation ainsi que les cloisons en brique, la maçonnerie des pierres de taille factices en ciment et en marbre, l'escalier d'accès du sous-sol au rez-de-chaussée, le palier intermédiaire, le plancher haut du rez-de-chaussée, les poutres entretoises, le socle recevant la balustrade du balcon, les murs et les colonnes extérieurs.

Mi-décembre, l'entreprise Dupont, en charge du Lot 2 (Charpente et menuiserie), intervint pour la première fois sur le chantier pour effectuer le poutrage des combles et de la toiture du bâtiment annexe de la Salle des Fêtes, pour permettre la continuité de la maçonnerie. Initialement une dalle était prévue qui fut remplacée par un plancher.

Carte postale Cérémonie militaire du 21 janvier 1913 (coll. JM)

Si la date sur cette carte postale est exacte et on est en droit de le penser, donc la charpente métallique de la Salle des Fêtes n'était donc pas encore installée sur les murs !

La charpente métallique

À fin décembre, la charpente métallique fournit par la société Paul Gay d'Héricourt, fut assemblée pour être posée par l'entreprise Tournesac. Sur le plan ci-dessous, on peut voir la structure métallique formant le dôme.

Structure de la charpente métallique du dôme (extrait plan AMB)

À sa base, le dôme possède un diamètre de 11,20 mètres et une hauteur de 7,35 mètres surmonté par un couronnement de 2,90 mètres de haut.

Comme sur le plan précédant pour le dôme, le plan ci-dessous présente la structure du toit plus traditionnelle, un deux plans, couvrant la plus grande partie de la Salle des Fêtes.

Structure de la charpente métallique derrière le dôme
(extrait plan AMB)

NA : L'habillage de la charpente était intégré dans le Lot 2 qui comprenait aussi les travaux de menuiserie; tout comme, la couverture était dans le Lot 3. Ils font l'objet d'autres parties de l'article. Un lien en fin de texte permet d'y accéder via le Sommaire.

La charpente métallique fut installée certainement courant février par l'entreprise Tournesac.

La suite des travaux

Le 13 février 1913, l'entreprise Tournesac proposa à l'architecte de carreler le sous-sol au lieu de laisser en béton brut. Il adhéra à la proposition et la défendit devant le conseil municipal; la décision fut entérinée le 5 avril, validée par le préfet le 24 mai.

Extrait courrier entreprise Tournesac sur le carrelage (doc. AMB)

Début mars 1913, l'ensemble des maçonneries des murs en moellons bruts du pays, des cloisons en brique et des pierres de taille, était finalisé. L'ensemble de l'entrée du 1^er étage était terminé. Les pannes au-dessus de la scène et les poutres du plafond de la grande salle étaient posées. L'arc au-dessus du rideau réalisé, finissait la scène.

Tout comme à l'extérieur, l'entreprise Tournesac avait réalisé la corniche supérieure sur la façade principale en pierre factice et le motif en son milieu.

À la fin du mois suivant, les pierres factices des façades latérales de la Salle des Fêtes étaient posées, ainsi que celles de la corniche annexe. La façade arrière avait reçu les enduits.

Extrait de l'avancement des travaux à fin avril 1913 (doc. AMB)

Mai et juin 1913 furent consacrés aux finitions de maçonneries, avec la réalisation des enduits à imitation pierre pour l'extérieur, des enduits au mortier de chaux hydraulique pour l'intérieur, les joints des marches des escaliers intérieurs et extérieurs, les dallages, les descentes de chéneaux…

Travaux en régie (hors devis)

Au cours du déroulement des travaux programmés, d'autres furent réalisés en régie par l'entreprise Tournesac, suite à des modifications, des ajustements nécessaires, des finitions non prévues, puis de nombreux travaux liés à l'installation du chauffage jusqu'en fin décembre 1913.

Extrait récapitulatif des travaux effectués en régie par Tournesac
(doc. AMB)

Le montant des travaux en régie s'éleva à 12966,18 francs.

Bilan financier du Lot 1

L'entreprise Tournesac demanda un montant de 31598,03 francs, suite à de nombreuses modifications effectuées suite à demande de l'architecte.

Tout comme, il argua d'une plus-value de 5901,47 francs par rapport au devis initial suite aux prix des matières ayant augmenté ainsi que les taux horaires suite au décalage de la réalisation des travaux.

Le métrage définitif du Lot 1 établi par l'architecte municipal, le 15 décembre 1914, s'éleva au montant de 175816,18 francs.

Suite aux relances de l'entreprise Tournesac et au regard des éléments justifiés, le conseil municipal vota le 24 mai 1917, un budget supplémentaire de 29828,73 francs pour règlement de tout compte.

Extrait de la délibération du conseil municipal (doc. AMB)

Il fut accepté par le préfet, le 11 juillet 1917.

Les procès-verbaux de réception provisoire et de réception définitive furent établis à la même date, le 13 juillet 1917.

Extrait du procès-verbal de la réception définitive
des travaux du Lot 1 (doc. AMB)

Fin de la 2^e partie, la suite à découvrir via le Sommaire (lien ci-dessous).

Épilogue

Les gros œuvres de maçonnerie (Lot 1) réalisés par l'entreprise belfortaine Tournesac, débutés par les fouilles en mai 1912, se déroulèrent toute l'année 1912 et continuèrent jusqu'à la mi-année de 1913.

Le 2^e semestre 1913 fut encore consacré à des travaux de maçonnerie par cette entreprise pour des modifications où à dessein d'autres entreprises comme pour l'installation du chauffage.

Comme on a pu le lire, le devis initial ne put être respecté.

Par contre, ces travaux de maçonnerie furent reconnus de grande qualité; on peut s'en rendre compte 110 ans après !

JM

Liens pour accéder aux articles cités

Sommaire des articles sur la Salle des Fêtes : Cliquer ici

Références : Dossier Salle des Fêtes (Archives municipales de Belfort, AMB), Bulletin 1913 de la Société Belfortaine d'Émulation (Gallica, BNF)

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